
Par Laurent Samuel (chroniqueur exclusif) - Consultant secteur associatif
Dans de nombreuses associations de taille moyenne ou
importante, le management bénévole cohabite avec un directeur salarié.
C’est le cas par exemple des établissements sous statut associatif dans le secteur
médico-social (maisons de retraites, centres d’accueil spécialisé,
associations de prévention...).
Souvent, on constate dans ces structures que la coexistence des deux lignes
hiérarchiques, les dirigeants bénévoles et les managers salariés, devient -à
moment donné- conflictuelle, l’affaire aboutissant tôt ou tard devant les
prud’hommes.
Cette dérive conflictuelle s’explique aisément.
Lorsque l’association doit faire appel à un professionnel qualifié pour diriger
ses activités (pour des raisons opérationnelles ou réglementaires), celui-ci se
trouve –tout directeur qu’il soit- dans une relation de subordination
vis-à-vis des dirigeants bénévoles.
Mais dans le fonctionnement quotidien, la légitimité du directeur salarié
s’impose : elle résulte de son expertise professionnelle et de la conduite des
affaires au quotidien. Cette légitimité et l’ascendant qu’elle procure sur le
reste de l’équipe en viennent souvent à éclipser la fonction et les prérogatives
des dirigeants bénévoles.
Pourtant, la légitimité des dirigeants bénévoles est elle-aussi
évidente, même si elle ne s’appuie pas toujours sur une compétence
ultra-pointue ; ici la légitimité découle de l’engagement altruiste, du mandat
social et de la responsabilité qui y est attachée.
Les dirigeants bénévoles se trouvent souvent dans une situation délicate: ils
ont à assumer la responsabilité juridique de la bonne marche de l’association,
alors que celle-ci dépend dans les faits de la compétence et du sérieux du
directeur salarié, celui-ci n’étant responsable ni civilement, ni pénalement
des fautes qu’il commet dans l’exercice de ses fonctions.
Je développe ici quelques pistes de réflexion à propos des méthodes et des
outils qui permettent de limiter les risques de conflit.
L’association de tous les acteurs à la construction du
projet associatif
Trop souvent, le clivage entre dirigeants bénévoles et
dirigeants salariés apparaît parce que ces derniers ont l’impression que les
dirigeants bénévoles « perdent leur temps » à brasser de grandes
idées, alors qu’eux sont au quotidien « les mains dans le cambouis ».
Cette distorsion est quelques fois le fait des bénévoles qui
perdent le lien avec les réalités du terrain, c’est une manière pour eux de se
désengager tout en restant en fonction. Elle peut être également générée par
les salariés qui confisquent les aspects opérationnels, au point de recréer une
nouvelle organisation au sein de l’association.
Quelle que soit la source du problème, il est un facteur de
schizophrénie pour l’association, deux visions du projet coexistant et
finissant par devenir inconciliables.
Ici les solutions vont consister à renouer les liens
nécessaires entre le projet associatif, tel qu’il est formulé par les instances
dirigeantes, et la réalité vécue par les salariés sur le terrain opérationnel.
Traduire le projet associatif en chantiers opérationnels
L’incompréhension naît souvent de ce que le projet
associatif est formulé en termes vagues et génériques, alors que les salariés
sont confrontés à une réalité qui les oblige au pragmatisme.
Une dichotomie apparaît entre le projet associatif tel qu’il
est vu et présenté en assemblée générale ou dans les statuts et le
fonctionnement au quotidien, beaucoup moins glorieux
Le projet dont les dirigeants bénévoles sont les gardiens ne
doit pas oublier de se nourrir de l’expérience du terrain qui est apportée par
les salariés ; il faut une certaine dose d’empirisme dans la définition
des valeurs et des principes qui portent l’association.
Ce pragmatisme doit tout d’abord transparaître dans la
formulation du projet associatif au travers de ses documents fondateurs
(statuts, règlement intérieur). Le Règlement Intérieur est l’endroit où l’on
peut détailler les chantiers de l’association, indiquer les moyens mis en œuvre
et les objectifs visés. L’exercice qui consiste à mettre sur le papier ce que
l’on fait réellement dans l’association est salutaire ; il permet à chacun
d’interroger ses pratiques et de confronter une vision idéalisée du projet avec
la réalité quotidienne.
Lorsque les dirigeants bénévoles craignent de perdre le
contact avec le terrain, ils doivent ménager aux salariés toutes les occasions
de témoigner de leur vécu que ce soit en assemblée générale ou dans les
instances dirigeantes (réunion de bureau ou du Conseil d’Administration).
Décloisonner les taches et organiser la participation
croisée aux différentes fonctions dans l’association
Il arrive que les institutions ou les pratiques installées
dans l’association organisent elles-mêmes ce divorce, en tenant les salariés
trop éloignés des instances de pilotage du projet que sont l’assemblée générale
ou le Conseil d’Administration ou bien –à l’inverse- en écartant les dirigeants
bénévoles de toute fonction opérationnelle.
Une solution consiste alors à organiser le fonctionnement en
binôme sur certaines taches. Le directeur salarié sera accompagné du président
pour les entretiens de recrutement ou les rendez-vous avec des partenaires
extérieurs de l’association. C’est le trésorier qui épaulera le directeur dans
les rencontres avec l’expert-comptable ou le banquier.
Dans d’autres associations, le directeur salarié est
cantonné à des fonctions opérationnelles internes, les dirigeants bénévoles
prenant en charge l’ensemble des relations extérieures. Dans ce cas, il faudra
l’associer à certaines taches de représentation, aux rendez-vous avec les
partenaires.
Même si, à première vue, il s’agit d’une perte de temps, il
faut se persuader que chaque occasion de travailler ensemble est bonne à
prendre ; elle facilite la compréhension mutuelle. Le fonctionnement en
binôme, notamment dans les relations extérieures de l’association, est un moyen
idéal de confronter les points de vue et d’aboutir à un diagnostic partagé des
situations.
Une répartition claire et écrite des fonctions et des
responsabilités
Cet objectif pourrait paraître contradictoire avec ce qui
vient d’être dit à propos de la nécessité de décloisonner les taches et
d’organiser une collaboration entre bénévoles et salariés sur des missions
précises.
Pourtant, trop d’associations souffrent d’une répartition
floue des missions et des responsabilités entre dirigeants bénévoles et
managers salariés.
Ce dysfonctionnement trouve souvent son origine sur le
terrain juridique : l’articulation entre les statuts, le règlement
intérieur et le contrat de travail du directeur n’est pas suffisamment étudiée
et les domaines de compétences se chevauchent en l’absence de règles de
fonctionnement explicites.
Toute association confiant à un directeur salarié le
pilotage de tout ou partie de la fonction opérationnelle devrait se doter d’un
règlement intérieur dans lequel elle définit l’entendue des missions du
directeur, la manière dont celles-ci s’articulent avec les prérogatives des
dirigeants. Ces dispositions du règlement intérieur seront reprises dans le
contrat de travail du directeur et serviront de cadre juridique à son action
quotidienne.
Il se peut également qu’une organisation initialement
rigoureuse dérive progressivement, les missions de chacun évoluant
insidieusement à la faveur d’événements ou de circonstances et selon l’appétit
respectif de pouvoir des personnes.
Pour conserver un fonctionnement rigoureux, on doit
pratiquer autant que nécessaire la délégation de pouvoirs, notamment lorsqu’il
s’agit de prérogatives des dirigeants bénévoles qui sont concédées au directeur
salarié. La délégation de pouvoir permet d’organiser sur le plan juridique
l’exercice temporaire ou définitif de certains pouvoirs par une personne qui
n’en est pas titulaire en principe. On trouverai ci sur le site du MEDEF une
note de synthèse (pdf) fort bien faite à ce propos.
Une circulation de l’information dense et fluide
L’incompréhension et les querelles naissent souvent d’une
circulation insuffisante de l’information. Les dirigeants bénévoles discutent
et statuent entre eux tandis que l’emploi du temps et les occupations du
directeur salarié restent mystérieux.
Pour assurer la bonne entente, il faut adopter quelques
règles d’hygiène dans la communication, à commencer par une certaine
transparence dans les taches et les occupations quotidiennes des individus.
Pour cette raison, les organes dirigeants (bureau et CA) doivent s’astreindre à
rédiger des comptes-rendus de leurs séances et à en assurer la communication,
si le directeur salarié n’assiste pas physiquement à ces réunions. Par
ailleurs, le directeur salarié ne peut pas rester isolé dans son action ;
il doit organiser des comptes-rendus réguliers du fonctionnement associatif et
diffuser aux dirigeants bénévoles les informations qui leur échappent du fait
de leur présence épisodique dans les locaux de l’association.
A cet égard, il existe maintenant de nombreux outils qui
permettent de partager en ligne son agenda ou de gérer collectivement un
projet.
En synthèse de ces quelques éléments de réflexion, on dira
que les conflits entre dirigeants bénévoles et managers salariés surviennent
principalement lorsque les deux lignes hiérarchiques se mettent à fonctionner
de manière isolée. Pour prévenir ces situations, il est nécessaire de convoquer
tous les moyens et tous les outils qui sont habituellement mis en œuvre pour
co-construire le projet et faire circuler l’information.