Par Patrick Rey (chroniqueur exclusif) - Consultant-formateur, Délégué Régional ITG, première société de portage salarial en France.
Il est tentant pour les sociétés de portage salarial — y compris pour les quelques rares qui se sont hasardées à proposer un service aux auto-entrepreneurs — de critiquer un régime très médiatisé. On voit fleurir les "conférences" et autres réunions spéciales à propos des statuts possibles pour créer une activité. Et de renforcer ainsi la tendance naturelle à inverser les priorités. Comme le savent bien les personnes qui accompagnent les créateurs depuis longtemps, par exemple dans les CCI, le choix du statut est loin d'être la première question à se poser !
Qu'arrive-t-il aux auto-entrepreneurs qui se sont déclarés en masse depuis le début de l'année ? Moins de la moitié aurait déclaré un chiffre d'affaires. Ce chiffre serait en moyenne de 4200 € au second trimestre, ce qui représente un revenu de 1100 € par mois, une fois déduits les charges sociales et le prélèvement fiscal libératoire (23 % du total). Encore faut-il imaginer qu'ils n'ont eu aucune dépense, aucun frais.
Pas étonnant de voir les titres de la presse papier ou web : Les auto-entrepreneurs peinent à démarrer leur activité (L'Expansion), Les auto-entrepreneur actifs restent rares/L'Urssaf rafraichit l'enthousiasme d'Hervé Novelli (Le Journal du Net), Grosse fumée et petit feu (tubbydev.com). Pour autant, faut-il tuer dans l'œuf une initiative économique qui a droit à sa chance ? Comme le dit le site de l'Union des Auto-Entrepreneurs (UAE), "plutôt que de tirer à boulets rouges sur les créations peu rentables ou dormantes, il serait pertinent de continuer à conseiller, accompagner, professionnaliser, former, mettre en réseau, les auto-entrepreneurs." Tel est en tous cas l'objectif ambitieux de l'UAE et telle est la vocation de trop rares entreprises de portage salarial, qui s'attachent à fournir de vrais services.
La récente étude publiée par la Caravane des Entrepreneurs, portant sur 705 témoignages d'auto-entrepreneurs, recueillis à l’occasion des 17 premières étapes de son tour de France, indiquait que les créateurs ont choisi ce nouveau régime avant tout pour sa simplicité (environ 37% des réponses), pour la faible imposition possible (14,6%), mais également pour la reconnaissance juridique qu’il autorise (10,4%) et la possibilité d’arrêter rapidement son activité si on le souhaite (10,2%).
Quelles différences avec le portage salarial ? A part l'imposition sur les revenus salariaux au lieu des bénéfices non commerciaux, pas de différence, puisque le portage salarial est un dispositif simple, qu'on peut interrompre ou arrêter facilement, et qui confère une double reconnaissance juridique (salarié assuré socialement, prestataire autonome doté d'une assurance responsabilité civile professionnelle), sans parler du numéro de formateur très utile pour les consultants de tous métiers.
On dit que les auto-entrepreneurs sont très présents dans le secteur du conseil et celui des services à la personne. C'est pourquoi il ne sert à rien d'opposer l'auto-entreprise et le portage salarial. Ce sont deux moyens de tester son activité "avant de se jeter dans le grand bain", comme se plaît à le dire François Hurel (créateur de l'UAE). La solution de l'auto-entrepreneur est indiquée pour les services à la personne par exemple, lorsque les factures sont faibles, destinées à des particuliers qui préféreront ne pas payer de TVA. La solution du portage salarial est préférable quand on s'adresse aux entreprises, quand on a besoin de facturer de la TVA, d'avoir une RC Pro, des moyens de recouvrement, etc.
Et souvent ces deux solutions sont parfaitement complémentaires et bien entendu cumulables. Car une partie des créateurs ne sait pas très bien vers quels services ils vont se tourner : le marché des particuliers, celui des entreprises ou les deux. Après quelques mois, ils auront une vue plus précise et sauront s'ils peuvent ou veulent se concentrer sur telle ou telle activité.
Quel conseil pour conclure ? Si le créateur est un vrai créateur dans l'âme, il peut tout de suite créer son entreprise. Mais la plupart ont besoin d'accompagnement pour être soutenus, conseillés, formés pendant une période de plusieurs mois. Et parfois cet accompagnement démarre au point de départ de toute entreprise : quel est mon savoir-faire, mon produit, mon service, quels sont mes clients, comment je les approche ? On le voit, la question du statut est totalement secondaire !

Non, le statut n’est pas secondaire car le statut d’auto-entrepreneur permet à tous ceux qui se sentent des possibilités de démarrer; certes les chances de réussite sont incertaines, mais alors le besoin d’accompagnement va se faire sentir de lui-même. A propos de statut , à l’époque des SARL un créateur avait la somme de 50000 f, son avocat lui a pris 45000 f, pour étudier et déposer son statut(sic).
François Hurel lui-même, inventeur du régime de l’auto-entrepreneur, et qui avait en son temps contribué à promouvoir son prédécesseur (la micro-entreprise), insiste pour qu’on ne l’appelle pas un statut.
Le statut est celui de l’entreprise individuelle (EI). Les deux nouveautés principales sont (1) la simplicité pour s’enregistrer et démarrer, (2) l’absence de charges et taxes quand on n’a pas de chiffre d’affaires. Et c’est en effet une initiative excellente pour tester son projet, « avant de se lancer dans le grand bain », comme il dit, pour ensuite devenir une vraie EI ou une société avec capital social (Eurl, Sarl, etc.).
Pour autant, ce n’est pas la solution de remplacement pour les activités de conseil, de formation et autres prestations intellectuelles à destination des entreprises et organismes publics ou privés, pour les raisons que j’ai citées, et d’autres encore*.
Et si les chiffres d’affaires sont encore modestes, c’est bien normal, pour trois raisons :
1. toute nouvelle entreprise met du temps à décoller, que les démarches soient simples ou complexes, car ce sont les clients qui font le CA,
2. la curiosité et la médiatisation ont accéléré les envies de certains créateurs, qui n’étaient pas prêts, pas préparés, ou n’avaient qu’une idée floue de leur projet et inexistante de leur marché,
3. dans le CA déclaré, on le verra par la suite, quand on aura les résultats détaillés et sur une année complète, il y a les prestations que les personnes faisaient au noir avant ce régime ; et c’était justement l’autre objectif de ce régime, tel que l’a voulu le ministre Novelli, dans cette partie de le Loi sur la modernisation de l’économie, de faire payer des impôts et des charges aux salariés du privés et aux fonctionnaires qui complétaient leurs revenus, sans les déclarer.
(*) voir le comparatif et les complémentarités : http://www.aquitaine-itg.fr/Comparaison-avec-l-auto.html