Par Violette Watine (contributeur) – Fondatrice de Mademoiselle Bio
Seyes
est la référence dans le tricot "éthique". Ils ont adopté une démarche
originale qui combine habilement les cultures traditionnelles des pays
sous-développés au savoir-faire historique français de la maille. Je
vous laisse découvrir le témoignage d’Hervé Guétin, un des deux
fondateurs de Seyes.
Comment
as-tu démarré ton activité (un produit, un pays et une communauté, une
variété de produits et de communautés …) ? Pourquoi ?
J’ai démarré avec un produit qui faisait appel à plusieurs communautés.
Mon métier, c’est la maille, aussi appelée le tricot. Et j’ai démarré
avec un pull. Il fait travailler plusieurs communautés tant en Inde
qu’en France. En Inde, 5000 coton-culteurs travaillent à la récolte du
coton bio qui est ensuite revendu au format commerce équitable
(garantie d’achat pendant 5 ans, achat à 20% au dessus du cours du
marché, formations,…) à un trader pour la filature.
Aujourd’hui, quelle est ta stratégie de développement auprès des
communautés : te concentrer sur un nombre restreint de communauté et/ou
de pays ou te diversifier (pays & communautés) ? Pourquoi ?
Je voudrais continuer à travailler comme on le fait aujourd’hui. Il
existe peu de filières de production. Et dans la maille, il est très
difficile de construire une nouvelle filière : trouver les matières
premières, créer les circuits de transformations qui sont très
techniques… Minimiser le nombre de filières permet une meilleure
gestion des risques de production. Chaque produit textile est un métier
à part entière. Seyes a sa place dans la maille. Donc, on souhaite se
concentrer sur notre métier et développer les volumes pour augmenter
les revenus de ces communautés.
Au niveau de la production, as-tu choisi de tout produire là-bas ? Ou y
a-t-il certaines étapes que tu as conservé en France ? Pourquoi ?
L’idée est de mêler le meilleur des 2 mondes : les matières sont
produites en Inde et les vêtements sont transformés & confectionnés
en France.
En Inde, le coton est cultivé, transformé de coton brut en coton fibre
(égrenage), les fibres sont agglomérées pour en faire des fils
(filature). Les deux usines qui font l’égrenage et la filature sont
certifiées SA8000 (ndlr elles sont auditées pour confirmer le respect des règles de l’OIT). Et nous concentrons les voyages de matières premières en un ou deux voyages maritimes par an.
En France, nous faisons la teinture des fils puis le tricotage et la
confection. Conserver une partie de la production en France permet de
maintenir le savoir-faire français & aussi les emplois. Le
patrimoine français est très important dans la maille et nous voulions
vraiment contribuer à le maintenir.
Au Brésil, nous faisons les Graines Seyes en coco sculpté qui
remplacent les classiques étiquettes synthétiques. Elles sont faites
par des artisans à partir de coques de coco récupérées sur les marchés.
C’est notre emblème : naturel, biodégradable et artisanal. Il est le
concentré de la démarche Seyes.
Pour ta production dans les pays du Sud, apportes-tu un savoir-faire «
occidental » ? Autrement dit, y a-t-il un transfert de compétences ou
te reposes-tu sur leur savoir-faire traditionnel ?
Je me repose exclusivement sur leur savoir-faire traditionnel. C’est
trader suisse de coton qui a commencé avec cette exploitation de coton
bio. Il y a 15 ans, il a fait un transfert de compétences de
l’alimentaire au coton. Au début, il a formé les agriculteurs indiens
puis ils ont formé des experts indiens pour leur permettre de cultiver
en bio. Maintenant, leur savoir-faire est local. Ils sont devenus
indépendants et connaissent bien leurs besoins, leurs solutions … Nous
ne sommes pas agronomes donc nous restons à notre place. Notre valeur
ajoutée, c’est le style et de jouer le « chef d’orchestre » de tous les
acteurs participant à la fabrication de nos articles !
Depuis que tu bosses avec tes communautés partenaires , vois-tu un
impact direct sur leur qualité de vie ? Qu’est-ce que ça a changé pour
elles concrètement ?
L’émission d’Envoyé spécial jeudi concernant notre fournisseur de coton
montrait l’impact positif du commerce équitable sur les coton-culteurs.
Sur notre projet, notre interlocuteur suisse nous débriefe
régulièrement des améliorations. Quand nous avons démarré il y a
bientôt 4 ans, ils n’étaient que 3000 cultivateurs. Maintenant, ils
sont 5000. Les coton-cultivateurs ont vu leurs conditions améliorées :
de meilleurs salaires, moins de maladies liées à la pollution chimique
et aussi de nombreux développements structurels (systèmes d’irrigation,
de pompage de vermicompost) et sociaux dont la construction d’un
bâtiment scolaire. Depuis le début, Seyes a reversé l’équivalent de
4000 euros à la communauté. C’est un beau début !
As-tu constaté des effets pervers du commerce équitable (dissensions
entre les communautés, soucis avec les intermédiaires historiques…) ?
Si oui, comment les gères-tu ?
Nous ne sommes pas directement sur le terrain. Donc, je n’ai pas de
perspectives claires sur le sujet. Et en France, je n’ai pas eu de
confrontations particulières. Au contraire, cela donne une bonne
impulsion sur les marchés occidentaux.
Crois-tu vraiment que le commerce équitable peut vraiment changer le sort des pays du Sud ? Quelles en sont ses limites ?
Oui, le commerce équitable peut apporter une évolution certaine. En
tant que modèle économique stratégique, je ne sais pas. Mais, en tant
qu’exemple pour faire changer les mentalités du commerce conventionnel,
certainement. Je pense qu’il apporte une bonne impulsion au commerce
traditionnel, en plus d’y apporter un supplément d’âme. C’est une
réelle évolution.
Bio & équitable, cela va-t-il toujours de pair ? Pourquoi ?
Bio et équitable permet de s’assurer que les gens soient bien payés et
ont une bonne qualité de vie. Donc, bio & équitable ne sont pas
vraiment dissociables. Mais, entre les deux, pour moi, le bio passe
avant l’équitable. Dans la dimension environnementale, il y a
inévitablement une dimension sociale. Quel serait le sens d’un coton
équitable avec des pesticides ? Pour le coton, le bio pourrait à la
limite aller sans l’équitable. Le bio, c’est le respect de la qualité
de vie des gens. Et comme le coton bio implique une récolte à la main,
cela créera forcément plus d’emplois.
Tes convictions et tes idéaux ont-ils évolué du fait de vivre au quotidien cette réalité ? Dans quel sens ?
Non, ils n’ont pas changé mais ils se sont concrétisés. Cela a changé
mon mode de vie et la mise en pratique de mes convictions Seyes est le
moyen d’expression de nos idées. Avec Seyes, j’ai mûri et mes
réflexions sont plus poussées. Peu à peu, mon mode de vie a changé. Il
est plus en cohérence avec les valeurs Seyes.
Que faisais-tu avant de créer ta boîte ?
Du classique ! Je bossais comme chef de produit d’une solution
anti-virus pour l’Europe. Cela me faisait voyager dans toute l’Europe.
Pour te lancer dans cette création, as-tu eu un déclic ou une lente prise de conscience ?
Mon associé était un copain des bancs de l’école. Nous étions tous les
deux libres avec l’envie d’entreprendre dans le développement durable.
Au démarrage, on s’est demandé comment exprimer nos convictions. On a
tout envisagé du rap, à l’ONG, au bar à BA. Ce qui nous a plu dans le
textile est la force de la marque et les évolutions industrielles que
vous pouvions initier.
Combien de temps par an passes-tu à voyager auprès de tes communautés partenaires ?
Nous ne sommes pas encore sur le terrain dans les pays du sud mais nous
passons beaucoup de temps chez nos industriels en France. Les pays du
Sud n’ont pas besoin de nous pour évoluer. Mais, notre rôle est de leur
remonter de l’information pour s’améliorer (sur les caractéristiques du
coton, la variété du coton souhaité pour la longueur de la fibre…).
Cela nous permettra de nous développer ensemble commercialement à
long-terme.
Personnellement, qu’est ce que ça t’apporte de construire ton activité sur des bases équitables ?
Ce n’est pas moi le problème. Je ne me suis jamais posé la question
dans ces termes. Comme dit l’expression « poussière tu redeviendras
poussière ». Cela me permet de vivre dignement de mon travail. Faire du
commerce équitable était du bon sens. Cela sert à créer du lien social.
J’adore créer, exprimer ce que je pense. Je ne m’achète pas une bonne
conscience. J’espère juste que cela fera boule de neige. Peut-être
qu’un jour Lacoste s’y mettra aussi. Et pour les clients, nous leur
offrons un produit qui respecte leur santé.
Entreprendre est en soi un beau défi. Pour toi, quelles sont les
difficultés que le commerce équitable a ajouté à la difficulté
d’entreprendre ?
Techniquement, c’est plus compliqué car on cherche des caractéristiques
très précises et il existe peu de fournisseurs. Une autre difficulté
est le prix du produit fini : les matières premières sont plus
onéreuses et le coton bio est plus cher à transformer du fait des
petites quantités concernées. Du coup, Seyes prend un peu sur sa marge
mais le client a du mal à comprendre que le produit est plus cher. La
qualité accrue explique ce prix mais ça reste un frein à l’achat. C’est
d’ailleurs une logique assez française.
La dernière difficulté a été avec les banques. Dès qu’on leur disait
qu’on voulait faire du textile made in France, elles nous fermaient
leurs portes.