J’ai toujours dit que ce sera en fonction des rencontres avec les
femmes. J’ai essayé au Brésil et au Bénin. Mais, pour diverses raisons,
ça n’a pas pu se faire. Cet été, je vais aller à Madagascar pour voir.
Ce pays très pauvre est dans une vraie détresse. Or il a un vrai
potentiel ethnique et artisanal. Pour mon projet, il y a le
savoir-faire en terme de couture et d’artisanat et aussi la
disponibilité des matières premières sur place (pierre, cuir et
matériaux à recycler pour mes produits).
Par la créativité, je souhaite apporter du travail aux femmes, une
formation et de l’autonomie à terme. Rendre de la dignité à l’être
humain.

Au niveau de la production, as-tu choisi de tout produire
là-bas ? Ou y a-t-il certaines étapes que tu as conservé en France ?
Pourquoi ?

Tout est produit là-bas. Seuls les boutons sont achetés chez Emmaus
& à l’Armée du Salut. C’est le lien entre les défavorisés de France
et ceux de l’autre bout du monde. Pour moi, le bouton est le premier
des accessoires. C’est la marque de fabrique de Zaza Factory. Je ne
choisis que du vintage recyclé de qualité chez Emmaus. Sinon, tout
produire là-bas fait vivre plus de monde. Les tissus achetés là-bas
sont magnifiques et originaux. Donc, je les recycle et les achète
directement à des familles.


Pour ta production dans les pays du Sud, apportes-tu un savoir-faire «
occidental » ? Autrement dit, y a-t-il un transfert de compétences ou
te reposes-tu sur leur savoir-faire traditionnel ?

Il y a un vrai transfert de compétences mais je me repose aussi sur
leur savoir-faire en couture. J’ai aussi remis au goût du jour l’art
traditionnel birman avec mes écharpes au crochet fait main. L’éthique
se doit de répondre à la demande des acheteurs européens. Je me nourris
de ce qu’il y a dans le pays (matière première disponible…). Puis, je
crée. Au bout d’un an et demi de travail, elles se sont appropriées une
partie de la créativité et le sens du détail (comment placer une
plume…). Mais, la sensibilité des couleurs reste très différente.


Depuis que tu bosses avec tes communautés, vois-tu un impact direct sur
leur qualité de vie ? Qu’est-ce que ça a changé pour elles concrètement
?

Certaines ont gagné leur autonomie et prennent leur envol. Elles
développent leur propre activité de couture. Par exemple, une des
femmes a créé sa boutique de robe de mariée. Elles m’ont dit récemment
que Zaza factory c’est leur futur. C’était le plus grand cadeau pour
moi. Quoi de plus beau cadeau que de réinsérer cette notion de
lendemain chez les femmes. Pour les aider à être autonome, elles ont
droit de recopier mes modèles et de les vendre sur place. Et, certaines
ont ouvert cet hiver leut propre atelier.

As-tu constaté des effets pervers du commerce équitable
(dissensions entre les communautés, soucis avec les intermédiaires
historiques…) ? Si oui, comment les gères-tu ?

Je gère au coup par coup car je suis face à un pays compliqué (ndlr c’est une dictature).
Il faut surtout ne pas faire trop de bruit pour que les femmes
continuent tranquillement. Tous les ateliers entre eux ne se
connaissent pas et ne savent pas ce que je fais avec qui. J’essaie de
scinder les activités pour éviter des rivalités (sacs, tongs…). Et au
global, il n’y en a pas vraiment.


Crois-tu vraiment que le commerce équitable peut vraiment changer le sort des pays du Sud ? Quelles en sont ses limites ?

Bonne question. J’y crois fondamentalement car je suis une ancienne de
l’humanitaire. L’humanitaire a ses limites, c’est un acte d’urgence. Là
où le commerce équitable est plus pérenne. Il redonne leur dignité aux
individus. Je crois que l’échelle du commerce éthique est encore
petite. Et qu’il faudra encore beaucoup de temps pour y arriver car il
y a des enjeux commerciaux et financiers importants. Donc, les limites
sont là. Mais, je suis partisane d’une rose dans un champ d’ortie.
Mieux vaut agir avec ses limites que de ne rien faire du tout. Pour
moi, c’est prometteur et super bénéfique de continuer. Mais, pour aider
à son développement, il faudrait créer de nouveaux métiers (agents sur
le terrain…) comme dans l’humanitaire.

Bio & équitable, cela va-t-il toujours de pair ? Pourquoi ?
Attention, ce n’est pas la même chose et il y a souvent confusion dans
les esprits. Personnellement, je recycle des tissus créatifs et
synthétiques. Je ne trouve pas cette créativité en bio et le coût au
mètre est trop important. Donc mon sac reviendrait beaucoup trop cher
si j’ utilisais des tissus de créateurs en matière écologique En fait,
bio & équitable, c’est la même famille de l’environnement et du
respect.

Tes convictions et tes idéaux ont-ils évolué du fait de vivre au quotidien cette réalité ? Dans quel sens ?
J’ai été dégrossie par mes années dans l’humanitaire. Et, mes idéaux
tombent un peu car la réalité économique est là. Or, les idéaux ne
suffisent pas. Le panier de la ménagère est sensible. Donc, il faut
aussi se contraindre par l’économique. Mais, je continue à positiver :
pour s’en sortir il faut être créatif et sortir du lot.


Que faisais-tu avant de créer ta boîte ?

Du conseil dans l’industrie pharmaceutique et avant de l’humanitaire. Mon fil conducteur c’est l’humain.


Pour te lancer dans cette création, as-tu eu un déclic ou une lente prise de conscience ?

Cela a toujours été là. J’ai vécu le génocide au Rwanda, j’ai travaillé
pour le sida et d’autres grandes causes. Je l’ai toujours eu en moi. Ça
me caractérise. C’est un cheminement, une réflexion de 35 ans. C’est
lors d’un voyage que j’ai eu mon déclic. A la rencontre des femmes
birmanes, j’ai eu l’idée de créer un projet éthique. Donc, peu après
mon voyage, en mars 2005, je lançais 100 pièces uniques pour tester
l’idée.


Combien de temps par an passes-tu à voyager auprès de tes communautés partenaires ?

Je fais 2 à 3 voyages par an. Au début, j’y passais 6 semaines par
voyage mais j’essaies au fur et à mesure de réduire la durée pour
développer la société à Paris ou ailleurs et aussi pour laisser plus
d’autonomie aux ateliers là-bas.

Personnellement, qu’est ce que ça t’apporte de construire ton activité sur des bases équitables ?
Tout ! C’est ce qui fait toute la différence. Quand c’est difficile,
c’est ce qui fait qu’on tient. On est intégré dans un monde qui marche
et dont on a envie qu’il devienne meilleur. Et on sait qu’il y a une
communauté qui se développe. On participe à quelque chose. Donner un
futur et contribuer à la prise de conscience. Maintenant, je suis moins
dans la révolte et j’essaies de faire évoluer les choses.

Entreprendre est en soi un beau défi. Pour toi, quelles sont
les difficultés que le commerce équitable a ajouté à la difficulté
d’entreprendre ?

L’équitable me limite dans mes développements. J’aurai une plus grande
productivité si je n’étais pas équitable. Payer le juste prix, verser
des primes de développement et travailler avec une dictature ralentit
le développement de l’entreprise. Et, en tant que patron, j’ai toujours
en tête qu’il ne faut pas dévier. C’est parfois pesant. Il faut avoir
du courage pour dire non aux grands groupes qui ne sont pas prêt à
jouer le jeu de l’éthique (accorder des délais supplémentaires,
accepter qu’il n’y ait pas de réassort …). Si je partais produire en
Chine, je pourrai bien vivre de Zaza factory. Or pour l’instant, c’est
pas le cas.


Une anecdote sur ton vécu des différences culturelles ?

Je vis beaucoup de moments très fort là-bas. Vivre à l’heure de leur
religion et attendre le tombé de l’étoile à 5h15 au moment du ramadan.
Voir les fous rires des femmes quand j’utilise des plumeaux quotidiens
comme accessoires dans des sacs haut de gamme. Avoir de l’eau jusqu’au
genou pour traverser la capitale pour aller d’un atelier à l’autre….

Credit photo : zaza factory & Laure Maud