A la découverte de créateurs engagés … Tristan Lecomte d’ Alter Eco

Watine_violette
Par Violette Watine (contributeur) – Fondatrice de Mademoiselle Bio

Alter Eco
est un véritable pionnier du commerce équitable. Créé en 1998, les
produits Alter Eco sont maintenant distribués dans 3000 points de vente
(dont leur propre boutique sur internet)
et 5 pays différents. Son fondateur, Tristan Lecomte, est surtout un
ami passionné et passionnant ! Je suis son aventure depuis ses débuts
et c’est en grande partie grâce à lui que je me suis décidée à me
lancer (à mon échelle) dans ce commerce plus durable.

Comment as-tu démarré ton
activité (un produit, un pays et une communauté, une variété de
produits et de communautés …) ? Pourquoi ?

Dès le début, nous avons lancé plusieurs produits impliquant plusieurs
pays. Cela permet d’avoir une grande diversité de produits et de donner
accès au marché international au plus grand nombre de communautés. A
l’origine, nous avons lancé une boutique avec 1500 produits d’artisanat
& d’alimentation. Cela impliquait 150 coopératives dans 84 pays.
Mais, cela ne nous permettait pas de les accompagner et d’assurer de
bons niveaux de qualité. Donc, quand nous nous sommes concentrés sur la
grande distribution, nous avons lancé 13 produits. Cela nous a permis
d’avoir un meilleur suivi des coopératives et donc de meilleures
garanties sur leur développement.


Aujourd’hui, quelle est ta stratégie de développement auprès
des communautés : te concentrer sur un nombre restreint de communauté
et/ou de pays ou te diversifier (pays & communautés) ? Pourquoi ?

Notre volonté est de diversifier les productions par coopératives. Leur
permettre d’avoir plus de débouchés possibles. Ainsi, la coopérative
qui nous fournit du thé produit maintenant 18 autres produits (épices
…). Nous souhaitons aussi ouvrir lentement de nouvelles coopératives.
Chaque nouvelle coopérative nécessite un audit complet et un contrôle
strict de notre impact sur leur développement.

Au niveau de la production, as-tu choisi de tout produire
là-bas ? Ou y a-t-il certaines étapes que tu as conservé en France ?
Pourquoi ?

Nous essayons de tout faire là bas tant que c’est possible. Chez Alter
Eco, en moyenne, 20% du prix public payé par le consommateur va dans le
pays d’origine. Cela fait une grande différence pour la coopérative.
Transformer eux-mêmes leurs matières premières leur apporte plus de
valeur ajoutée et les rends moins dépendant du cours mondial des
matières premières. Cela leur permet aussi de vendre à d’autres clients
qu’Alter Eco.
Pour les cosmétiques, la mise sur le marché est très compliquée. Donc,
nous produisons en France. A terme, on voudrait tout produire là-bas
mais les freins réglementaires sont trop importants pour l’instant. La
réglementation, très exigeante, ne nous permet de le faire pour le
moment.


Pour ta production dans les pays du Sud, apportes-tu un savoir-faire «
occidental » ? Autrement dit, y a-t-il un transfert de compétences ou
te reposes-tu sur leur savoir-faire traditionnel ?

Les deux. C’est un échange. Par exemple, sur la transformation des
matières, on échange des informations sur les conditions de production.
On partage aussi ce que l’on a pu apprendre d’autres communautés.

Depuis que tu bosses avec tes communautés partenaires, vois-tu
un impact direct sur leur qualité de vie ? Qu’est-ce que ça a changé
pour elles concrètement ?

Cela dépend selon les communautés. Plus ils sont défavorisés, plus
c’est lent. En moyenne, Alter Eco achète 88% plus cher. Mais l’ impact
est peu visible si le prix d’achat de démarrage est très peu cher. La
coopérative du Sri Lanka (ndlr celle cité précédemment qui a commencé avec du thé et produit maintenant 18 produits différents)
a amélioré son habitat, financé sa certification bio, payer des bourses
pour les écoles, créer des ateliers de couture pour faire des jeunes
professionnels, diversifier leurs productions, créer un fond funéraire
et une mutuelle. C’est le modèle idéal. A l’inverse, certaines
coopératives ont du mal à s’organiser. Il existe toutes les variations
de couleurs. Mais se prononcer sur l’amélioration de leur niveau de vie
c’est dur à dire.
C’est pourquoi nous avons mis en place l’AEDI (Alter Eco Dvpt Index).
C’est un indice de développement des producteurs qui évalue de nombreux
critères de qualité de vie tels que l’accès à l’eau, l’électricité, la
scolarisation des enfants, le sentiment sécurité des travailleurs, leur
libre expression,… Pour ce faire, nous nous entretenons avec 5
producteurs dans chaque coopérative (le plus petit producteur, le plus
grand et 3 moyens). Ces contacts privilégiés avec ces hommes nous
permettent de mieux évaluer leur qualité de vie.
Cette évaluation vient en complément de notre audit FTA 200. Cette
méthodologie d’audit interne sur la filière évaluent 200 critères
sociaux, économiques & environnementaux.

As-tu constaté des effets pervers du commerce équitable
(dissensions entre les communautés, soucis avec les intermédiaires
historiques…) ? Si oui, comment les gères-tu ?

Les difficultés sur le terrain sont nombreuses. Mais ce sont les
producteurs locaux qui y sont confrontés. Par exemple, une de nos
coopératives vient de faire faillite et Alter Eco avait 100K€ engagés
auprès d’eux. Nous sommes partie prenante car nous pré-finançons leurs
productions sans garantie. Nous les accompagnons pour les aider à
s’organiser. Mais, il demeure certaines incompréhensions culturelles.
Le commerce équitable, c’est le commerce de l’impossible : relier les
petits producteurs à la grande distribution ! C’est bien ça qui fait
l’intérêt de cette démarche.

Crois-tu vraiment que le commerce équitable peut vraiment changer le sort des pays du Sud ? Quelles en sont ses limites ?
Le commerce sera équitable (ndlr titre de son nouveau livre aux Editions d’organisation – Eyrolles).
A partir du moment où on prouve que les prix sont comparables et que
les garanties pour le consommateur et les coopératives sont
supérieures, il n’y a pas de raison que le commerce équitable ne se
développe pas. Le commerce alimentaire de produits agricoles représente
7% des échanges mondiaux. Il est à faible intensité capitalistique donc
il est facilement transformable en commerce équitable.
Nous avons démontré que les prix sont comparables pour une échelle
comparable (internalisation production, volumes…) et pour une qualité
comparable (avec la même traçabilité…). Or le goût à l’aveugle est bien
meilleur. Mais, il y a encore l’influence des marques qui biaise cette
perception.


Bio & équitable, cela va-t-il toujours de pair ? Pourquoi ?

C’est complémentaire pour les producteurs et les consommateurs. Mais ce
n’est pas toujours possible. Par exemple, en Palestine, il n’y a pas de
certificateurs bio. C’est donc une démarche de progrès. Ils ne sont pas
certifiés mais tous produisent en naturel. En plus, la certification
peut être trop onéreuse pour certaines coopératives. Il y a un vrai
enjeu économique. Par exemple, le lobby américain pousse pour que la
certification soit imposée par producteurs et non par organisation de
producteurs. Cela démultiplierait les coûts et favoriseraient leurs
productions.


Tes convictions et tes idéaux ont-ils évolué du fait de vivre au quotidien cette réalité ? Dans quel sens ?

Oui, ça évolue tous les jours parce qu’on s’informe. J’ai plus de recul
et plus d’historique. Plus ça avance, plus c’est passionnant. Le sujet
est hyper riche (macroéconomique, politique, santé …) et hyper
dynamique. Cela ne s’arrête jamais. Cette problématique long-terme /
court-terme est très intéressante. Et on voit que c’est utile.


Que faisais-tu avant de créer ta boîte ?

Je travaillais chez L’Oréal. C’était intéressant techniquement mais il me manquait une vocation plus profonde à réaliser.

Pour te lancer dans cette création, as-tu eu un déclic ou une lente prise de conscience ?
Cela a été un déclic. J’ai démissionné de L’Oréal, acheté un ordinateur
et je me suis lancé dedans. C’est la lecture d’un article qui m’a
convaincu.


Combien de temps par an passes-tu à voyager auprès de tes communautés partenaires ?

Une semaine sur 2 ou 3. C’est le top !


Personnellement, qu’est ce que ça t’apporte de construire ton activité sur des bases équitables ?

C’est une partie de ma vie importante. Elle me définit dans ma vie au
sens large. Elle influence ma conception du monde, mon utilité dans la
vie, ma citoyenneté. Ça me construit personnellement.

Entreprendre est en soi un beau défi. Pour toi, quelles sont
les difficultés que le commerce équitable a ajouté à la difficulté
d’entreprendre ?

La rentabilité ! Cette activité est plus difficile à rentabiliser parce
nos marges sont plus faibles et nos contraintes d’achat plus fortes.
Pérenniser l’activité est un vrai enjeu . D’autant plus que nous ne
sommes pas des personnes spécialement motivées par la rentabilité ou
l’argent.

Une anecdote sur ton vécu des différences culturelles ?
Le premier projet financé par le commerce équitable dans une
coopérative a été la mise en place d’un projet funéraire. Le plus
important pour eux était d’honorer les morts. C’est avec un tel exemple
qu’on voit que la valeur ajoutée du commerce équitable est
prioritairement au niveau humain.

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