Par Violette Watine (contributeur) – Fondatrice de Mademoiselle Bio
Lancée en Septembre 2005, Machja
est une jeune marque. Catherine Soundirarassou, co-fondatrice, a voulu
proposer une mode sexy et tendance tout en étant socialement
responsable. Je vous laisse découvrir sa démarche !
Comment as-tu démarré ton
activité (un produit, un pays et une communauté, une variété de
produits et de communautés …) ? Pourquoi ?
Dans un premier temps, nous avons lancé un T-shirt. Nous n’avions qu’un
produit, le T-shirt, pour assurer un minimum de volume à l’atelier
production. Créé il y a 7 ans, cet atelier est l’initiative d’un
couvent en Inde. Les sœurs s’occupaient de jeunes filles dans le Kerala
puis à l’âge adulte les jeunes filles partaient du couvent sans avenir
professionnel. Donc, l’atelier de production leur permet de les
accompagner dans leur vie professionnelle. Ils ont maintenant déménagé
dans la région textile. Leurs premiers acheteurs ont été des étrangers
et ont spontanément fait du commerce équitable. Même s’il y a 7 ans
cette notion de commerce équitable n’était pas aussi médiatisée. Peu à
peu, leur carnet de commande s’est rempli et ils ont recruté de plus en
plus. Elles sont maintenant 200 personnes à travailler dans cet atelier.
Aujourd’hui, quelle est ta stratégie de développement auprès
des communautés : te concentrer sur un nombre restreint de communauté
et/ou de pays ou te diversifier (pays & communautés) ? Pourquoi ?
Nous souhaitons nous concentrer sur cet atelier indien et ne pas
disperser notre production. Nous sommes encore un petit client pour
eux. Donc, se concentrer permet de les accompagner à notre niveau et de
participer au financement de leur quotidien.
J’ai dû recourir à un autre atelier de production pour le jean car ils
ne faisaient pas ce type de fabrication. J’ai la volonté de me
diversifier pour offrir une offre attractive, cohérente & large aux
clients. Donc, pour le jean, nous travaillons avec un atelier français,
dont la fabrication est localisée en Tunisie. Les prototypes sont faits
en France et la fabrication en Tunisie. Dans les deux cas, ce ne sont
pas des petits producteurs comme en alimentaire. Donc, pour la mode
éthique, on parlerait plus du commerce solidaire. Avant de se lancer
dans la production, la société tunisienne s’est soumise à un audit
social de huit mois. Cela nous a permis de vérifier le bon respect des
règles de l’OIT. Mais, cette société emploie des ouvriers et pas des
personnes dans le besoin. Nous travaillons avec une société française
mais nous n’avons pas pu produire en France à cause des coûts de
production trop élevés.
Au niveau de la production, as-tu choisi de tout produire là-bas ? Ou y
a-t-il certaines étapes que tu as conservé en France ? Pourquoi ?
Comme je viens de te le dire, pour la production indienne, tout est
réalisé là-bas, même les prototypes. Pour les jeans, les prototypes
sont réalisés en France et la production est tunisienne. En revanche,
le style est fait en France.
Pour ta production dans les pays du Sud, apportes-tu un savoir-faire «
occidental » ? Autrement dit, y a-t-il un transfert de compétences ou
te reposes-tu sur leur savoir-faire traditionnel ?
Je me repose sur leur savoir-faire traditionnel. J’essaie de faire
évoluer leurs techniques pour faire des produits moins basiques et
moins ethniques. J’apporte des produits aux goûts occidentaux et aux
coupes modernes. Mais, je fais attention à leur capacité à leur
réaliser et à leur expertise. Je m’adapte pour qu’ensemble on évolue en
terme de style. Quand je définis la collection, je prends en compte
leur expertise.
Depuis que tu bosses avec tes communautés partenaires, vois-tu
un impact direct sur leur qualité de vie ? Qu’est-ce que ça a changé
pour elles concrètement ?
Moi, mes commandes ne sont pas significatives car ils produisent pour
de nombreux autres clients. Mais au quotidien, je vois qu’ils aiment
travailler avec nous. Et nous les avons aidé à financer quelques-uns de
leurs besoins ponctuels (un frigo, dons hôpital, finance leurs fêtes de
Noël…). J’ai pu voir qu’ils se développent et qu’ils ont de plus en
plus de clients. Donc, cela amène des améliorations concrètes. Mais en
terme d’améliorations de leurs conditions de travail, je suis mitigée.
Ma relation privilégiée avec eux m’a permis de m’apercevoir que
certaines de leurs relations clients évoluent vers une relation
économique normale. Ils subissent donc la pression. Et cela peut leur
demander de travailler jour & nuit pour tenir leurs délais. En
fait, cet atelier ne sait pas refuser le travail. Ils sont trop
gentils. Et cela nuit à leurs conditions de travail !
As-tu constaté des effets pervers du commerce équitable (dissensions
entre les communautés, soucis avec les intermédiaires historiques…) ?
Si oui, comment les gères-tu ?
Dans la culture indienne, on ne sait pas refuser. Sinon c’est un
déshonneur. Certaines marques qui sont leurs clients sont pleines de
bonnes intentions. Mais, comme la demande est accrue, elles sont prises
par leur développement et en oublie les méthodes de travail à mettre en
place pour être complètement éthique. Avec leur objectif de
développement commercial, ils en négligent l’impact sur l’atelier de
production. Et l’atelier est pris en étau entre les contraintes de
leurs clients et distributeurs occidentaux & leurs contraintes de
production plus artisanales.
Crois-tu vraiment que le commerce équitable peut vraiment changer le sort des pays du Sud ? Quelles en sont ses limites ?
Oui, si ça se fait à grande échelle. Si c’est une niche, non. Sur
l’Inde, il n’existe que 5 ateliers de production commerce équitable.
Comparé à la masse d’ateliers en Inde, c’est très mineur.
Malheureusement, il n’y a pas de transparence pour les autres.
Bio & équitable, cela va-t-il toujours de pair ? Pourquoi ?
Bio & équitable va de pair mais dans la réalité ce n’est pas facile
à appliquer. Par exemple, le denim bio vient d’ouganda mais je n’ai pas
le recul sur la culture du coton là-bas. Avoir les doubles garanties
sont très difficiles. Les choses se font avec le temps. Notre objectif
est d’augmenter en volume pour avoir du poids sur cette confédération
et les accompagner vers le commerce équitable. On travaille aussi avec
des ONG chinoises pour faire évoluer des ateliers chinois vers une
démarche équitable. Mais cela prend du temps.
Tes convictions et tes idéaux ont-ils évolué du fait de vivre au quotidien cette réalité ? Dans quel sens ?
Elles se sont renforcées, forcément. Quand je vois l’atelier de
production et les femmes qui s’épanouissent dans d’excellentes
conditions de travail, j’ai envie que ce soit comme ça partout. Surtout
quand on connaît la misère de l’Inde. Je souhaite vraiment développer
les volumes Machja pour investir dans des projets solidaires.
Que faisais-tu avant de créer ta boîte ?
Je travaillais dans l’internet coté marketing.
Pour te lancer dans cette création, as-tu eu un déclic ou une lente prise de conscience ?
C’était un besoin. Une envie d’entreprendre et de vivre en Corse. On a
souhaité créer une marque textile pour créer de l’emploi en corse qui
n’existait pas. Un peu comme 64 dans le pays basque. Naturellement on
allait pas faire produire notre textile n’importe comment. Pourquoi
faire autrement ? Ensuite, c’est allé très vite. On est parti sans
business plan. On s’est lancé avec nos économies. On est parti en
voyage à la rencontre de cet atelier de production. On a acheté un
stock de départ et c’était parti !
Combien de temps par an passes-tu à voyager auprès de tes communautés partenaires ?
Nous y sommes allés 4 fois en un an et demi. En fait, nous allons
visiter l’atelier tous les 3 mois environ. C’est essentiel pour les
accompagner & mettre en place les collections avec eux.
Personnellement, qu’est ce que ça t’apporte de construire ton activité sur des bases équitables ?
Pour moi, c’est tellement naturel que je ne l’envisage pas autrement.
Cela ne m’apporte pas plus. Je ne me dis pas c’est une bonne action que
je fais. Cela doit être fait comme ça. C’est tout.
Entreprendre est en soi un beau défi. Pour toi, quelles sont
les difficultés que le commerce équitable a ajouté à la difficulté
d’entreprendre ?
Le besoin financier est beaucoup plus important. En fait, on
pré-finance une partie de notre production auprès de l’atelier mais nos
boutiques paient bien après. Donc, nous avons besoin de gros
financements pour combler ce décalage de trésorerie.
Une anecdote sur ton vécu des différences culturelles ?
L’atelier n’a aucun recul sur les goûts occidentaux. Ce qui est beau
pour nous n’est pas beau pour eux. Donc, cela peut amener des erreurs
de production. Une fois, on a fait des sweat-shirt capuche avec cordon
satin pour les femmes et cordon normal pour les hommes. Au final, tous
les sweat homme ont été livrés avec un cordon satin. Ils n’ont pas
imaginé que le satin ne se faisait pas pour les hommes.