Par Françoise Keller (chroniqueur exclusif) – Coach de Managers, de Projets et d'Equipes et Formatrice en management et en communication NonViolente®
J’ose aujourd’hui aborder un sujet souvent tabou. Dans une société où il est important d’afficher les réussites (et sur un site destiné à encourager les entrepreneurs !), je me permets d’aborder un sujet délicat que nous avons tous à gérer un jour ou l’autre, dans la solitude de nos bureaux : que faire de nos erreurs ?
Dominique a crée sa société il y a quatre ans. Après plusieurs années de travail en solitaire, voyant les résultats encourageants de l’entreprise et les commandes des clients, il choisit d’embaucher un numéro 2. Malgré tout le soin qu’il a mis dans cette embauche, il reconnait, après 6 mois de fonctionnement, que le duo ne fonctionne pas : tensions régulières, visions divergentes, petites remarques acides de la part de clients… Dominique est abattu ; il repasse le film de ces derniers mois et pense à tous les moments où il aurait pu agir autrement : A-t-il pris assez de précautions à l’embauche ? Dès le début, il avait un doute et n’en a pas tenu compte… N’aurait-t-il pas dû se positionner plus fermement lors des premiers désaccords ?
Pascale, bonne professionnelle reconnue dans son entreprise, a pris la responsabilité d’un projet stratégique et important, il y a deux ans. Lorsqu’elle m’appelle, elle est tendue, stressée, découragée : le projet a rencontré des difficultés techniques inattendues ; il est en retard ; toute la direction a les yeux rivés sur ce projet. Pascale ne pense qu’à une chose : en finir au plus vite avec ce projet et demander une mutation dans un autre département.
Paul a une idée, décide de quitter son poste de salarié et de créer son entreprise. Il choisit le statut de micro-entreprise. Après quelques mois, il rencontre un expert comptable qui lui explique qu’il a fait un mauvais choix.
L’erreur est humaine et … nécessaire
Ce que nous qualifions d’erreur est un écart entre une situation réelle et une situation souhaitée. L’erreur est toujours constatée a postériori.
Pourquoi l’erreur est humaine ?
· Parce que nous sommes en croissance, en apprentissage : nous avons besoin d’expérimenter pour apprendre ; c’est le fait de voir le résultat de telle ou telle action qui fait que nous pouvons apprendre
· Parce que nous prenons des risques : l’entrepreneur, en particulier, prend sans cesse des décisions qui ont leur part de risque
. Parce que nous vivons dans un monde complexe et incertain, où les stratégies qui fonctionnaient hier ne sont pas nécessairement encore valables
· Parce que nous avons besoin de créer et d’entreprendre, ce qui signifie faire des choses qui n’ont jamais été faites auparavant !
L’erreur est donc humaine et nécessaire. Nécessaire à la créativité, à l’entrepreneuriat et au développement !
Les attitudes négatives face à l’erreur
Nous connaissons tous néanmoins des attitudes négatives et fort répandues par rapport à l’erreur :
· La culpabilité : Dominique est dans la culpabilité et dépense beaucoup d’énergie à revoir les décisions qu’il a prises ; or, il faut bien constater que Dominique ne peut pas revenir en arrière ! Il n’est même pas certain que cette culpabilité, si elle n’est pas transformée, puisse lui être utile et éviter une nouvelle erreur. Le « j’aurais dû » ou « je n’aurais pas dû » ne permet pas vraiment de voir ce qu’il faudra faire à l’avenir
· La dépression : lorsque Paul rencontre son expert comptable, il ne voit plus que les aspects négatifs de son choix, comme l’instituteur ne souligne que les fautes dans la correction d’une dictée ; l’erreur nous empêche souvent de voir les aspects positifs de la décision ; Paul, par exemple, a mis en œuvre son projet rapidement, avec les informations qu’il avait ; il a validé concrètement son projet, s’est confronté à la réalité
· La fuite ; Pascale, elle, choisit la fuite : finir le projet le plus vite possible et passer à autre chose ; une autre stratégie classique malheureusement en entreprise et dans la vie quotidienne peut également consister à ne pas reconnaître son erreur et à rejeter la faute sur un autre : le patron, le fournisseur, le collègue d’à coté….
· Le tiraillement : J’observe que, face à une erreur, nous sommes souvent tentés d’analyser très rapidement la situation et nous choisissons de développer des stratégies diamétralement opposées ; après avoir été impulsif, passer trop de temps à réfléchir ; après avoir managé avec difficulté une équipe, se réfugier dans un travail technique ; après avoir trop assumé seul, déléguer sans contrôle suffisant etc…
Lorsque j’étais chef de projet, pour des développements logiciels complexes et novateurs qui n’avaient jamais été développés jusqu’à maintenant, j’ai été plus d’une fois perplexe devant les dégâts de ces attitudes pour l’efficacité collective. Les démarches qualité ne nous privent pas de toute notre créativité pour faire comme si l’erreur n’était pas humaine, cacher son erreur le plus longtemps possible, démontrer que le problème ne vient pas de nous.
Faire de l’erreur une occasion d’apprentissage
Après avoir cherché à comprendre pendant plusieurs années nos dysfonctionnements face à l’erreur, j’ai trouvé une approche que je trouve particulièrement performante et pertinente :
Phase 1 – Accepter l’erreur
Prendre le temps, comme le fait Dominique, d’accueillir tous les jugements que j’ai, toutes les critiques : j’aurais dû être plus vigilant, j’aurais dû écouter mon intuition, j’aurais dû faire attention aux signaux faibles, j’aurais dû prendre des conseils, je n’aurais pas dû prendre un projet si lourd…
Pour que cet accueil soit constructif, je vais prendre le temps de regarder la situation objective et d’analyser les besoins non satisfaits par ce qui s’est passé : veiller à mon équilibre professionnel et personnel ; intégrer dans les critères de recrutement des aspects de personnalité ; m’entourer de conseillers ayant des compétences complémentaires des miennes…
Si je m’arrête là à nouveau, je risque de passer dans la fuite et ce que j’ai appelé plus haut le tiraillement.
J’ai pu expérimenter à maintes reprises l’importance de mettre alors cette phase provisoirement de coté pour voir la situation d’une autre manière.
Phase 2 – Accepter le choix qui a conduit à l’erreur
Voici une étape bien iconoclaste que j’ai découvert dans un stage de développement personnel et qui, transposé au monde professionnel, apporte énormément ! Il s’agit de reconnaître que, au moment où nous avons fait l’erreur, nous avons eu des raisons légitimes de la faire. Il ne s’agit pas de tout excuser et de nier la phase 1 mais simplement de reconnaître une autre facette de la réalité.
Ainsi, par exemple, Dominique n’a pas tenu compte de ses premiers doutes car il souhaitait vraiment faire confiance et respecter le rythme de l’autre. Pascale se trouve dans une situation difficile car elle a tenu à respecter ses engagements, à mériter la confiance qu’on lui avait donné, à ne pas solliciter exagérément son responsable, à faire confiance dans son équipe. Enfin, Paul a fait un choix de statut qui lui a permis de démarrer rapidement son entreprise et de valider son projet !
L’expérimentation de cette phase est souvent étonnante, parfois difficile (on revient à la phase 1… « oui m’ai j’aurais pas dû … »
Rester dans cette phase reviendrait à fuir la réalité, à tout excuser, au fatalisme…
Passons alors à la suite !
Phase 3 – Voir la complexité de la situation
Il s’agit alors de regarder, en toute objectivité, la totalité de la situation :
– Ce qui s’est réellement passé
– Les besoins qui n’ont pas été satisfaits
– Les besoins que nous avons tenté de satisfaire
Cette phase demande du temps car il est difficile de reconnaître la légitimité des deux parties qui ont l’habitude de se batailler à l’intérieur de nous ! Nous savons penser en « ou » : il s’agit de penser en « et ».
Comment puis-je à la fois faire confiance en mon intuition ET avoir davantage de vigilance ?
Comment puis-je à la fois faire confiance dans mon nouveau collaborateur ET porter attention aux difficultés que je rencontre ?
Comment puis-je à la fois faire le deuil de la réussite d’un projet ET réussir mon évolution professionnelle ?
Nous entrons alors dans une phase constructive où nous pouvons réellement apprendre de nos erreurs, avancer pas à pas, en nous appuyant sur nos forces, nos valeurs et en modifiant ce qui nous a conduit à l’erreur.
Le fait de faire une erreur devient alors une réelle occasion de progression, pas seulement de changement. Je constate que la différence est essentielle !
Et, je peux vous le dire maintenant, je remercie infiniment la personne qui m’a signalé, dans un post précédent, une faute d’orthographe, en m’écrivant «il y a des détails qui tuent » car l’échange qui a suivi m’a donné envie de rédiger cette note. Il y a peut-être des détails qui tuent mais il y a des erreurs qui font grandir !
Alors, chers entrepreneurs, bonne route…