Par Patrick Rey (chroniqueur exclusif) - Consultant-Délégué ITG (Institut du Temps Géré), premier groupe de conseil en portage salarial.
Plus de 2 ans après le lancement très médiatisé du régime d’auto-entrepreneur, on continue de voir des annonces de conférences, réunions, débats sur le choix entre l’auto-entrepreneur et le portage salarial. Ces deux modalités d’exercice d’une activité de prestation de services recouvrent des réalités très variées. Le comparatif est donc plus complexe qu’il n’y parait.
En commençant par les charges sociales et fiscales, le régime de l’auto-entreprise semble économique, au premier abord. Sur son CA facturé, un auto-entrepreneur peut n’avoir que 23,5% à payer en charges sociales obligatoires et impôt sur le revenu. Alors qu’en portage salarial, une autre personne paiera un peu plus de 50% de charges (cotisations sociales + frais de gestion), pour recevoir un salaire net. Elle paiera ensuite l’impôt sur le revenu, ce qui peut diminuer son revenu final de 10%, donc un prélèvement total autour de 55% sur les honoraires facturés.
Avec le montant annuel maximal de 32600€ possible pour les activités de prestation de services, on peut avoir théoriquement un revenu net d’impôts et de charges de presque 25000€ contre un peu moins de 15000€ sous statut de salarié “porté”. Ces quelque 10k€ de gains espérés valent-ils la peine de démarrer en auto-entrepreneur, comme certains le pensent ? Pour ensuite recourir au portage salarial. Pas certain !
Il ne faut pas oublier que le statut de l’entreprise individuelle s’applique au régime d’auto-entrepreneur. Il est donc responsable sur ses biens propres pour sa gestion et ses prestations. Il doit ou devrait se payer une assurance responsabilité civile professionnelle pour assurer ses missions et se protéger contre des recours possibles. Il devra également investir sur son temps productif et commercial pour faire un minimum de gestion, et peut-être même se faire aider, ce qui lui coûtera quelque chose au départ ou après. Ces deux services sont compris dans les frais de gestion appliqués par la société de portage salarial. Des coûts supplémentaires pour l’auto-entrepreneur.
Ensuite, tout créateur a besoin, notamment au départ, de faire des frais pour investir (équipement informatique, prospection, formation, frais de fonctionnement, etc.). Comme auto-entrepreneur, les frais viennent diminuer les revenus et ne bénéficient pas de la récupération de TVA, pas plus que les éventuels frais de missions refacturés au client. De même, ils n’échappent pas à l’impôt, alors que les frais du salarié “porté”, y compris en cas d’appel à sous-traitance, viennent en déduction de la masse salariale. Les sociétés de portage salarial les plus sérieuses prennent en compte ces frais, ce qui permet d’économiser des cotisations sociales et de l’impôt sur le revenu. Là encore, des coûts supplémentaires pour l’auto-entrepreneur.
Quant aux prestations sociales, il faut se souvenir que l’auto-entrepreneur ne cotise pas à l’assurance chômage (sauf à se payer une coûteuse assurance privée). Son régime ne couvre que des prestations minimales (en retraite, maladie). Il n’ouvre aucun droit à la formation (DIF, etc.). Difficile d’évaluer les coûts supplémentaires pour l’auto-entrepreneur ! Difficile également de chiffrer les autres prestations et services fournies par les sociétés de portage salarial les plus sérieuses : le recouvrement de factures, l’accompagnement et la formation commerciale, la mise en réseau, l’apport de missions.
On le voit, l’économie maximale tant espérée de quelque 800€ par mois pour une année d’auto-entrepreneur risque de se réduire comme peau de chagrin, voire de se transformer en perte sèche ! On peut y ajouter l’image moins positive fréquemment liée à la facturation sous ce régime, voire à la communication commerciale de ceux qui se présentent comme tels, et l'absence de référencement chez des plus grands comptes. Sans parler de la tendance à baisser ses tarifs pour démarrer, nettement moins fréquente chez les “portés” bien recrutés, formés et accompagnés. Mieux vaut fixer des tarifs de bon niveau et se payer des prestations sociales de bon niveau !
En conclusion, il n'est pas possible de trancher sur les différences strictement financières entre le régime d'auto-entrepreneur et le statut de salarié “porté”. Chaque situation a besoin d'être chiffrée avec des personnes compétentes. Quant aux autres gains ou pertes, autres que sur le plan financier, chacun valorisera en fonction de ses objectifs et de la réputation de la société de portage salarial, l'intérêt et la réalité des autres services.
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