Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier
Je l’ai déjà souligné à multiples reprises. Face à l’euthanasie financière qui frappe les épargnants sous la forme de taux d’intérêt bien inférieurs à l’inflation, la Bourse fait partie des solutions. Mais elle est aussi est un terrain miné, sur lequel il n’est pas bon de s’aventurer à la légère. A priori, avant de vous lancer “pour de bon”, les concours boursiers qui foisonnent ici ou là sur Internet seraient dès lors un bon outil pédagogique sans risque de perdre du sonnant et du trébuchant.
Vraiment ? Je ne le crois malheureusement pas !
Pour vous en convaincre, faisons un petit détour par la Belgique.
Ainsi, récemment, les deux quotidiens économiques du Royaume (L’Echo et le Tijd) ont lancé un tel concours boursier, permettant donc aux investisseurs de faire fructifier sans risque un portefeuille virtuel (actions et fonds) de 50000 EUR (plus un bonus de 2000 EUR) sur la période allant du 19 novembre 2018 au 25 janvier 2019.
Où est le problème ? D’abord, l’horizon de placement limité à 10 semaines est trop court. Découvrir et tester des stratégies d’investissement, comme le proposent les organisateurs, sur une telle période relève du fantasme. Ensuite, celui qui participe à un concours a naturellement envie de le gagner, d’autant que le “prize money” n’a rien de virtuel. D’où la tentation de prendre un maximum de risque pour se démarquer des autres participants, par exemple en recourant à une trop forte position en actions individuelles (plus volatiles) au détriment des fonds. Enfin, puisqu’on lui autorise jusqu’à 20 ordres (achats/ventes) par jour, l’investisseur se voit encouragé dans une pratique de trading excessif, dont tout démontre le caractère nocif sur les rendements obtenus (multiplication des frais et des décisions hasardeuses). Le courtier en ligne qui participe à l’organisation de l’événement doit, lui, voir les choses différemment !
A l’instar d’une loterie où “100% des gagnants ont tenté leur chance” (célèbre tautologie visant à remplir les caisses de l’Etat), un tel concours a plutôt tendance à récompenser celui qui aura spéculé le plus imprudemment. Tout perdant se reprochant de ne pas avoir été assez audacieux. Néanmoins, cette année, le concours n’a pas suivi cette règle. Du fait du creux boursier observé en décembre, beaucoup de ceux qui se sont lancés bille en tête fin novembre ont subi des pertes qu’ils n’ont pu combler par la suite. Et le gagnant, avec un rendement de 21,5%, fut un étudiant de 24 ans qui attendit la fin décembre pour placer ses pions dans des fonds. Lucide, il reconnaît une part de chance dans le timing. Mais il eut deux mérites : profiter d’un moment où le pessimisme ambiant était fort, ce qui peut laisser certains actifs sous-valorisés ; et résister à des dossiers d’actions individuelles au sujet desquels il considérait ne pas avoir de meilleures informations que les autres.
Difficile, néanmoins, de tirer des conclusions définitives sur un temps si réduit pour le gagnant. Rien ne garantissait notamment que la Bourse rebondirait en janvier. Si elle avait continué à s’enfoncer, ce qui après tout eût été parfaitement envisageable, notre étudiant aurait pu conclure que les valorisations des actifs ne sont d’aucun secours pour l’investisseur. Ce qui est bien entendu historiquement faux ! Mais, à court terme, un actif bon marché (s’il est correctement diagnostiqué comme tel) peut devenir encore meilleur marché. Par contre, les grands perdants du concours auront constaté les dangers de toute spéculation excessive. S’en souviendront-ils pour autant et en tireront-ils les leçons ? Rien n’est moins certain : pour beaucoup, ils concluront qu’ils n’ont tout simplement pas eu de chance cette fois-là …