Bourse et covid-19 : les premières leçons

Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier

Il y a deux semaines, à l’occasion de ma première chronique consacrée au tumulte boursier consécutif à la propagation du coronavirus et du covid-19, j’avais pris l’option (lâche ? prudente ?) de la sagesse en me référant au grand classique Benjamin Graham, père de l’analyse financière traditionnelle et mentor de Warren Buffett. Il ne me semblait alors en effet pas très raisonnable de tirer des plans sur la comète et de déjà interpréter ce à quoi nous assistions.

Force est de constater que la situation reste aujourd’hui confuse. La crise sanitaire ne se calme pas, l’impact économique et financier mondial, déjà lourd, est loin d’être quantifiable (l’OCDE et le FMI sont pessimistes) et les marchés boursiers semblent engagés sur une voie erratique, multipliant les sauts de carpe en tous sens.

Où en seront les Bourses la semaine prochaine, le mois prochain, dans un an, voire dans 5 ans ? Plus encore qu’à l’accoutumée, les prévisions s’annoncent très hasardeuses. La planche à billets va tourner à plein régime un peu partout (2000 milliards de dollars sont envisagés aux Etats-Unis, ce qui est colossal), venant s’ajouter à des dettes étatiques et des bilans de Banques Centrales déjà obèses, avec un impact inquiétant sinon à court, du moins à moyen et long terme.

Mais, pour tout observateur, une crise est un événement trop précieux pour que n’en soient pas tirées des leçons. Certaines méritent déjà d’être épinglées.

  1. Pour la majorité des experts financiers, il y a encore quelques semaines, la chose était entendue : dans un monde où les taux d’intérêt étaient (très) bas, il n’y avait pas d’alternative aux actions (TINA pour “There is no alternative”). Rien ne pouvait arriver de fâcheux puisque les Banques Centrales veillaient au grain. Les dividendes étaient régulièrement (et fallacieusement) comparés avantageusement aux intérêts des obligations. Beaucoup de petits investisseurs ont ainsi été poussés à investir en Bourse alors même que leur profil de tolérance au risque ne les y prédisposait pas. Certains, pris par surprise, vont sans doute vendre avec de lourdes pertes.
  2. Comme souvent, alors que les Bourses occidentales, surtout américaine, étaient perçues comme assez chères (ce qui est, d’ailleurs, contradictoire avec le point précédent), il aura fallu un événement singulier pour enclencher une correction. En 2008/9, il s’agissait de la faillite de Lehman Brothers, certes directement liée aux excès de la finance de l’époque. Cette fois, c’est une crise sanitaire qui expose toute une série de fragilités, liées à la mondialisation et, une fois encore, à l’endettement excessif. C’est à marée basse que l’on voit les cadavres.
  3. Dans une telle séquence, ce ne sont pas les actions souvent considérées comme les plus chères (en terme de multiples de valorisation) qui baissent le plus et le plus vite. Ce rôle revient plutôt aux valeurs dites “bon marché”. Car, en règle générale, ces actions “bon marché” ne le sont que parce qu’elles sont plus risquées que la moyenne. Arrive un imprévu et c’est la panique à bord : comment rembourser les dettes ou encore comment réaliser aujourd’hui dans la tourmente les ajustements nécessaires qui auraient dû intervenir hier afin de pérenniser le “business model” ? Ceci ne signifie pas que les actions “chères”, de meilleure qualité, soient immunisées. Si la récession, aujourd’hui probablement inévitable, s’installe durablement ou se transforme en dépression, elles n’échapperont probablement pas à une correction supplémentaire.
  4. Le risque, un temps donné pour mort, est donc de retour. La volatilité sur les marchés est très forte, à un sommet de l’histoire récente. Remarquez que ceux qui nous promettaient que la constitution d’un portefeuille d’une dizaine ou une quinzaine de titres, diversifiés sectoriellement et internationalement, garantissait une protection contre les trop sévères déconvenues, même temporaires, se sont trompés. Une fois de plus, la tempête boursière, lorsqu’elle se déchaîne, prend des proportions … pandémiques.
  5. Et pourtant, les algorithmes, ces merveilles de la gestion robotisée, devaient eux aussi prendre automatiquement les meilleures décisions, alertant sur les risques, déjouant les écueils et décelant les meilleures opportunités. Intelligence artificielle et puissance de calculs allaient faire le job et éviter les mouvements trop brusques sur les marchés. Aussi étrange que cela puisse paraître, toute cette belle informatique semble avoir été incapable de déceler/interprêter les signaux d’affaiblissement de l’économie mondiale depuis de longs mois et de prendre en compte le risque d’une propagation planétaire du virus chinois. L’Homme, malgré toutes ses imperfections, n’est pas encore relegué aux oubliettes de l’analyse financière.
  6. Comme indiqué dans mon introduction, l’évolution à venir des Bourses est très incertaine. Et pourtant, de plus en plus de dirigeants de (grandes) entreprises, n’hésitent pas à communiquer sur les achats d’actions de leur groupe qu’ils opèrent à titre personnel. A priori, ils sont les mieux placés (les mieux informés) pour tirer profit de ce genre de pratique. Devez-vous les imiter ? Prudence ! Le plus souvent, ce n’est que de la com’. Pour tenter de ramener la confiance des investisseurs, ils achètent quelques milliers de titres. Mais leur patrimoine et leur horizon de placement les protègent largement. En d’autres termes, ils peuvent se permettre de se tromper, au moins à court terme. Et vous ?
  7. A l’occasion d’une telle crise, il est intéressant de consacrer quelques minutes chaque jour à apprécier la qualité des sources d’informations, voire de les renouveler. Vous souvenez-vous, au cours des mois précédents, de mises en garde auxquelles vous n’aviez pas spécialement prêté attention ? Il est probable que cette source soit davantage digne de confiance que ce que vous pensiez. Telle source se fait l’écho de fake news caractérisées ? Rayez-la de votre liste. Attention, les informations les plus “mainstream” ne sont pas forcément de meilleure qualité. Cherchez, grattez et vous découvrirez sans doute des pépites dans les blogs ou sur Twitter …  

 

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