Retour d’expérience : Ce que l’erreur d’acquisition du Groupe Provifruits m’a appris !

Guilhermier_michel_de Par Michel de Guilhermier (contributeur) – Entrepreneur

Amis entrepreneurs, en herbe ou confirmés, j'ai envie de vous faire partager mon expérience !

Fin 1995, après presque 9 ans à travailler pour les autres, d'abord dans le conseil chez Bain & Cie, puis dans de grandes multinationales américaines (Dole Food, PepsiCo), j'ai trouvé une opportunité d'acquisition, un réseau de distribution au détail d'une trentaine de magasins de primeurs dans la région lyonnaise, le Groupe Provifruits.

Belle société sur le papier, rentable…

L'idée que j'avais, avec l'associé avec qui j'ai racheté l'affaire, était d'en faire une chaîne nationale de plusieurs centaines de magasins !

Très rapidement, il a fallu se rendre à l'évidence, ce game plan n'était pas jouable pour nous :

  1. Tout d'abord nous ne maitrisions pas un aspect essentiel, les achats. Acheter des palettes de Pepsi ou d'autres produits manufacturés, c'est simple, moins on paye cher, mieux ça vaut. Avec les fruits & légumes, des centaines si ce n'est des milliers de variétés, et des paramètres multiples (il vaut mieux parfois payer plus cher car ça se revend mieux), c'est très loin d'être aussi simple. Il vaut mieux être né dedans pour contrôler un peu ce qu'il se passe !
  2. De plus, l'extension se révélait être un problème : d'une part les emplacements de qualité ne se trouvent pas en claquant des doigts, d'autre part le personnel qualifié – compétent (il n'y a pas à proprement parler de CAP F&L comme on a en boucherie par exemple), honnête (métier de cash), courageux (à 1€ le kilo de F&L il en faut de la manutention pour faire du chiffre), et souriant (on est dans du commerce de proximité), était très difficile à trouver. 

L'erreur que j'avais faite était simple : j'avais 32 ans, je voulais vraiment trop acheter une société, je m'étais auto-convaincu que l'affaire était pour moi, que j'allais pouvoir m'épanouir en la passant de 35 à 300 magasins et 300M€ de CA !

Avec mon associé nous avions donc racheté la chaîne fin 1995, sommes arrivés concrètement au management début 1996…et dès la fin 1997 nous prenions la décision d'en confier les rênes à un DG compétent et "adéquat", et nous repartir sur de nouvelles aventures. Entre temps, nous avons ouvert ou rénové une bonne douzaine de magasins ainsi que tester quelques concepts (création notamment d'une enseigne distincte "Cerise & Potiron", pour le centre ville, bien connue aujourd'hui sur Lyon et les environs) et quelques tactiques commerciales.

Le DG mis en place était notre acheteur de Fruits & Légumes, donc déja dans la boutique et maîtrisant un des aspects essentiels du métier. Il fit du très bon boulot, nous racheta les parts en 1999 (sans que nous perdions réellement d'argent), et depuis en a fait une petite pépite : une trentaine de magasins aussi maintenant, mais d'une taille moyenne supérieure à avant, plus regroupés géographiquement ce qui en facilite le contrôle, un concept "Cerise & Potiron" que notre acquéreur a très largement revu et amélioré (finalement, il ne reste que le nom de commun !), et au final une belle petite chaîne de distribution locale, très rentable. Bravo à lui, c'est un bon et il était fait pour ça, nous non.

Avec du recul, cette 1ere expérience entrepreneuriale (si je ne compte pas les expériences durant HEC où j'ai quand même crée une autre société et pris du capital dans une autre), si elle ne fut pas bénéfique financièrement, fut extraordinairement bénéfique humainement pour la suite par les leçons que j'en ai tirées :

  1. Des erreurs, on en fait tous, sauf ceux qui ne font rien et qui n'entreprennent pas ! Faire des erreurs est même normal, c'est le pendant logique d'entreprendre. Mais il est tout aussi important de les reconnaître et de les rectifier, ce le plus vite possible. Le bon entrepreneur est celui qui sait ne pas s'enliser, s'adapter, bifurquer. De l'honnêteté intellectuelle et du pragmastisme sont indispensable. Ainsi, les entrepreneurs qui ont toujours raison sur tout, qui ne se remettent jamais en question, ni eux ni leur modèle, se plantent toujours, tôt ou tard.
  2. Après "l'erreur" Provifruits, j'ai bien rebondis, et ai donc acquis une belle confiance en moi et fondamentalement dans ma capacité à reconnaître humblement les erreurs et rebondir : je sais, car je l'ai vécu, qu'une erreur de trajectoire n'est pas un problème en soi si on garde sa lucidité et sa flamme. Aussi, je n'ai ainsi eu strictement aucun mal à annoncer à mes actionnaires d'Inspirational Stores fin 2008 (donc très vite, on a levé 10M€ fin septembre 2008 !) qu'on avait fait une erreur et qu'il fallait qu'on bifurque vite, et là aussi grand bien nous a pris ! Beaucoup d'entrepreneurs s'enferment et se condamnent en refusant de voir qu'ils font fausse route, car ils ne veulent pas reconnaître l'échec et, pour tout dire, en ont peur. Or, tant qu'on avance et qu'on rectifie, une erreur n'est pas vraiment un échec. Le seul vrai échec, c'est de persister dans l'erreur en n'en prenant pas la mesure. Et combien d'entrepreneurs commettent justement cette erreur fondamentale, par ego, ou par peur de l'échec…
  3. L'erreur même de décision d'acquisition du Groupe Provifruits était une leçon : l'opportunité était peut-être belle, mais clairement pas pour moi : trop désireux et impatient d'acheter une société, je m'étais intoxiqué sur ma capacité à gérer ce business, et je m'étais aussi intoxiqué sur son potentiel de développement. Quand on veut vraiment racheter une société, on se trouve toujours de bonnes raisons, et inversement. Il est fondamental d'enlever les aspects humains et "ego" de l'équation, et c'est ce qu'il y a de plus difficile. Je rencontrais hier un grand acteur du LBO, on se disait que c'est une erreur très courante, mais moi j'ai eu la chance de la faire tôt dans ma vie et elle ne m'a rien coûté !
  4. Enfin, durant ces 2 ans chez Provifruits au management direct, je me suis confronté au retail "de base" : ouverture, rénovation, animation et management de magasins, relations directes avec les clients, maximisation du CA, de la marge, etc. Ceci a eu un impact direct et "invaluable" par la suite dans ma vie de "e-commerçant". Si Photoways a réussit alors que nous avions des dizaines de concurrents, c'est en bonne partie parce que j'avais les bon reflexes retail, acquis notamment lors de mes années Provifruits : "Connecting the dots", pour ceux qui ont visionné la video de Steve Jobs à Stanford en 2005. Aujourd'hui, je suis un des rares à avoir eu à la fois une vraie expérience retail et une expérience e-commerce. Ce "cross channel" étant aujourd'hui autant une nécessité qu'une tarte à la crème avancée partout (ie rapport Fevad), je suis assez idéalement positionné !

Leçon entrepreneuriale, leçon d'acquisition, leçon de retail, finalement je me réjouis de cette "erreur" Provifruits, et j'ai envie pour l'occasion de vous redonner le mot de Churchill : "le succès c'est d'aller d'échec en échec sans jamais perdre son enthousiasme" !

Entrepreneurs, plantez-vous jeune, plantez-vous vite, plantez-vous sans honte, apprenez à reconnaître humblement vos erreurs et rebondir en ayant confiance en vous, vous n'en serez que bien plus fort après !

L'ego, vous devez le mettre dans avoir de l'ambition, ça oui, mais pas dans l'analyse de vos erreurs. Soyez impitoyable avec vous-même la dessus.

"Be confident, don't be certain" !

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