« Petite chronique boursière  » : C’est la rentrée, tous à la manip’ !

Vincent_colotPar Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier

Dans notre cher Hexagone, la rentrée de septembre est protéiforme : scolaire, littéraire, professionnelle, politique, sociale. Les cigales ayant chanté tout l’été, c’est au tour des fourmis de se mobiliser. Et il n’est pas rare, surtout aux alentours d’échéances électorales importantes (suivez mon regard) que s’organisent des mobilisations revendicatrices, autour du mot d’ordre classique : « Tous à la manif’ ! ».

Si vous avez lu trop rapidement le titre de cette chronique, vous devez croire qu’il va s’agir pour moi d’analyser ici le contexte politico-économico-social du point de vue de l’investisseur.

Eh bien, non ! Plutôt que de jouer à Madame Soleil sur les risques boursiers de cette rentrée, j’en appellerai à la vigilance des investisseurs dans une toute autre perspective. Car à l’intersection des mondes médiatique et boursier, il y a un espace inquiétant propice à toutes les manipulations. Tous à la manip’ ? Il est en tous cas plus que jamais nécessaire de décrypter lucidement les informations disponibles.

Prenons un cas récent, celui du groupe pharmaceutique canadien Valeant, devenu, en quelques années, un des poids lourds mondiaux de son secteur. Ce succès fulgurant est dû à la volonté d’un homme, le directeur général Michael Pearson qui laisse aujourd’hui un groupe au bord du gouffre : une pile de dettes de quelque 30 milliards de dollars  (ayant servi à financer acquisition sur acquisition) et  des enquêtes diligentées par les autorités en matière de manipulations commerciales et comptables. 

Le petit actionnaire, lui, est dans le flou le plus total. L’analyste n’est guère logé à meilleure enseigne. Comment trouver la bonne information susceptible d’étayer son jugement sur cette entreprise ? Assumer ses pertes ou patienter pour des jours meilleurs ? Alors qu’un respecté gestionnaire de fonds comme Bill Ackman a lui-même failli dans son analyse de ce placement, voilà qui n’est pas une décision facile. Toute paradoxale qu’elle soit, la tentation est dès lors grande de se fier aux sources les plus proches du dossier, à savoir le management du groupe. Michael Pearson a été remplacé en mars dernier mais reste consultant du groupe. Tout comme le nouveau directeur général, il déclare à qui veut l’entendre que Valeant (et son action) rebondira. Et la presse spécialisée de s’empresser (!) de relayer ce discours.

Faut-il croire cet homme, qui connaît sans doute le mieux cette entreprise mais qui est à l’origine des actuels problèmes ? Pas si sûr !  Il y a quelques semaines, tout en affichant un bel optimisme, Pearson vendait pour plus de 100 millions USD d’actions Valeant pour « raisons personnelles ». Il garde certes encore un beau paquet d’actions mais ce comportement reste troublant. Après moi, le déluge, en quelque sorte.

En règle générale et au-delà de ce cas particulier, où l’éthique de ce ex-directeur général est, à l’évidence, contestable, méfiez-vous des déclarations des dirigeants d’entreprise. Une récente étude a montré que, lors des séances de questions/réponses tenues à la publications des résultats, certains dirigeants n’hésitent pas à cacher ou à travestir, au moins en partie, la réalité de leurs affaires en cours ,ce qui leur permet de spéculer pour leur propre intérêt.

Et il n’y a pas que les commentaires des chefs d’entreprise, lors de la publication des résultats, qui sont sujets à caution. D’après l’aveu même de directeurs financiers (américains), pour pas moins de 20% des entreprises, les chiffres financiers publiés eux-mêmes ne correspondraient pas fidèlement à la réalité des performances. Attention : il ne s’agit pas de fraude à proprement parler mais de l’utilisation licite des règles comptables pour donner à la « réalité » la couleur désirée. Cette liberté  prise avec les chiffres est substantielle : elle représenterait en moyenne, dans les cas concernés, quelque 10% des bénéfices.

Le plus souvent, bien entendu, il s’agit de « gonfler » les chiffres de façon à cacher une réalité moins flatteuse. Telle charge de restructuration ou telle réduction de valeur ne sera prise en compte qu’au trimestre suivant lorsqu’un surcroît d’activité espéré la rendra moins visible. Ou encore certains revenus sont avancés dans les comptes alors qu’ils ne se matérialiseront que plus tard. L’image tronquée de l’entreprise qui ressort de cette manipulation et qui, là aussi, est répercutée dans les médias, peut avoir pour conséquence de fausser l’évolution du cours de bourse. En faisant coïncider le résultat d’un trimestre ou d’un semestre avec la prévision moyenne des analystes, les dirigeants évitent en effet de potentielles perturbations toujours fâcheuses sur ce cours de bourse. Mais ce sont les investisseurs qui sont trompés !

Que peut faire l’analyste ? Discerner depuis l’extérieur de telles manipulations est difficile, mais pas impossible. Une analyse plus approfondie des chiffres (au-delà des chiffres d’affaires et des bénéfices) pour englober notamment les liquidités dégagées (moins manipulables) peut être menée, en remontant sur plusieurs trimestres. Comparer les performances d’une entreprise avec celles des concurrents donne également des éléments d’information. Enfin, la probabilité d’avoir à faire à des chiffres biaisés conduit le bon analyste à plus de prudence dans ses prévisions.

Quoiqu’indispensable , la publication des résultats des entreprises n’est pas toujours le moment de vérité que les investisseurs sont en droit d’attendre. De même, se référer un peu légèrement aux déclarations des dirigeants n’est pas la panacée. Aux analystes de bien …. analyser !

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