Par Yann Rousselot-Pailley (chroniqueur exclusif) – Associé-entrepreneur chez 2PS
Vous avez tout révisé avant de venir au Québec ! Jacques Cartier, la conquête, la guerre avec les Britanniques, la perte de la colonie, la création du Haut et du Bas-Canada … et tout ça ! Les plus consciencieux auront même appris qu’en 1774, le parlement britannique avait restauré le droit civil français au Québec. Quelle merveilleuse nouvelle ! Des notaires, des sociétés, des contrats, des bilans, des comptables, des avocats, des clauses.
Tout un vocabulaire en commun et en français ! Merveilleux !
Fort de ce constat, partez du principe que le code civil français a cours au Québec et que par conséquent les lois sont les mêmes. Soyez de ceux qui sont sûrs que les impôts se déclarent et se payent comme en Europe ! Le droit du sol, du sang, les contrats commerciaux…
En fait, on entend souvent des européens prétendre que les sociétés au Canada fonctionnent comme en France à ceci prêt qu'il n'y a pas de plan comptable et que les charges sociales sont plus légère. La bonne blague !
Dans le doute, partir du principe que le système doit être à peut près fait pareil : voilà un excellent moyen d’avoir de gros problèmes dans votre vie d’entrepreneur et dans vos relations commerciales au Canada.
Car en vérité, presque tout est différent ! Au niveau juridique, tout d’abord. Depuis les règles permettant la création et le fonctionnement d’une entreprise, jusqu’au baux commerciaux, en passant par les règles encadrant le contrat de travail, les accords entre actionnaires, l’usage d’une marque de commerce ou le dépôt d’un brevet. Bien sûr, les nuances peuvent être parfois légères. Mais l’impact de celles-ci peut faire la différence entre un règlement à l’amiable entre les parties, ou une véritable bataille juridique de longue haleine.
Pourquoi ces différences ? Même si vous ne vous en rendez pas compte dans votre vie de tous les jours, il existe deux grandes traditions juridiques : le droit romain, dont s’inspire le droit français, et le Common Law, ayant cours chez les anglo-saxons, et leurs anciennes colonies, incluant le Canada (et donc le Québec).
Pour de complexes raisons historiques, le Québec possède un système mixte, et c’est une exception dans le monde juridique canadien… et un cas rare dans le monde. Tandis que les règles civiles (mariage, adoption, contrat, commerce, succession etc.) sont régies par le code civil, le droit criminel du Common Law s’applique au Québec comme partout au Canada. Mais ce n’est pas tout ! Le système fédéral reconnaît certaines compétences et pas d’autres aux provinces et à leurs tribunaux.
La relation entre le Canada et le Québec n’est pas similaire à ce qui existe entre l’Union Européenne et la France en terme juridique. Les différences sont si nombreuses que des centaines de livres et d’études de droit comparé ont été produits.
Au royaume du droit, la fiscalité est une spécialité. Si le bijuridisme québécois vous a déjà donné mal à la tête, arrêtez là votre lecture. La fiscalité par paliers gouvernementaux est une source intarissable de conversations entre québécois et entrepreneurs immigrants. Le simple fait de faire deux déclarations — et donc de payer de l’impôt deux fois — est déjà particulièrement troublant pour l’immigré. Mais lorsque l’entrepreneur découvre comment on gère une entreprise au Québec, la légèreté des procédures initiales s’efface derrière la lourdeur administrative du quotidien.
Certes, le gouvernement a mis en oeuvre des moyens pour informer et soulager l’entrepreneur. Par exemple la double taxe de vente, fédérale et provinciale, est gérée par un seul gouvernement, celui du Québec, qui s’occupe de reverser sa part au fédéral. Mais dans un pays ou le gouvernement a mis en sur pied une commission pour la réduction de la paperasse (www.coupezlapaperasse.gc.ca) il est évident que le fardeau administratif reste lourd (la commission existe toujours donc il y a encore du travail).
En matière de droit, de fiscalité, et de comptabilité, la langue commune est une source potentielle d’incompréhension et de malentendu entre les québécois et les francophones d’Europe. Des mots, des expressions, peuvent être les mêmes et avoir des significations ou des implications différentes. L’inverse est également vrai, puisque sous des dénominations sans rapports l’une avec l’autre peuvent se cacher des notions proches voire identiques.
Par exemple, les comptables ne sont pas des “experts-comptables”. Ils se contentent du titre plus modeste de comptables agréés. Le comptable agréé va mettre de l’ordre dans ce monde de chiffres et de formulaires gouvernementaux (vous entendrez aussi les mots formule et forme au lieu de formulaire, un anglicisme anodin de plus). Même s'il a un rôle similaire à celui de l'expert-comptable, le comptable agréé n'est pas totalement identique à son homologue européen. Ses compétences en gouvernance, en subvention, en fiscalité peuvent beaucoup varier en fonction de sa formation : CPA, CGA, CMA. Du simple commis comptable au fiscaliste de haut niveau, ils sont tous comptables agréés… mais ils sont loins d'êtres égaux.
Les notaires ont eux aussi un rôle essentiel dans la vie administrative québécoise, mais contrairement aux notaires français, les entrepreneurs peuvent y faire appel pour enregistrer des actes que l’on confie habituellement à un avocat en Europe. Un notaire peut faire toutes les démarche pour "immtriculer" votre société ; mais au Canada (comme aux USA) on parlera d'"incoporer" une société.
Certains professionnels, à la fois notaire et fiscaliste, peuvent même vous proposer des structures corporatives plus adaptée à votre situation personnelle, rédiger les actes et les conventions correspondants et faire toutes les démarches auprès du Registraire des entreprises du Quebec.
Si vous voulez perdre du temps avec humour, essayez d'obtenir une numéro de SIREN auprès des greffes du tibunal de commerce. Je parie que la personne à la réception va vous faire de beaux gros yeux d'étonnement (des sirènes? des greffes?).
Il existe aussi une autre catégorie de professionnels auquel l'entrepreneur canadien fait appel régulièrement : le traducteur. Le bilinguisme exige que des spécialistes linguistiques soient impliqués chaque fois que l’on touche à un texte destiné à expliquer une loi, un règlement ou une disposition. Et malgré une vigilance linguistique permanente, sur les sites internet des ministères, les documents d’interprétations législatifs sont régulièrement corrigés avec la mention “L'intention n'a jamais été qu'il y ait une différence entre les versions anglaise et française de la loi”.
Traducteur, avocat, comptable, fiscaliste, notaire : même titres mais une relation à l’entrepreneur bien différente de celle qui existe en Europe.
Ce que l’on constate parfois parmi ceux qui ont fait le choix de se planter en affaire au Québec, c’est celui de se passer de ces professionnels. Pour faire des économies ou parce qu’ils font plus confiance à l’avocat ou au comptable de leur pays d’origine, ils optent pour toutes sortes de stratégies pour ne pas avoir à payer pour des services professionnels.
En général ces impétueux aventuriers de l’entreprenariat qui traversent l'Atlantique en solitaire et sans assistance, finissent leur course comme les circumnavigateurs : ils retournent d’où ils sont venu.
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