Par Yann Rousselot-Pailley (chroniqueur exclusif) – Present Profit
Vous êtes vous déjà demandés pourquoi les subventions, les crédits d’impôts et autres aides gouvernementales soutiennent certains secteurs et pas d’autres ? Derrière chaque décision fiscale, il y a bien souvent des mois de réflexion d’analystes financiers, d’économistes et de fiscalistes. Les raisons qui ont motivé les choix d’aides sont donc décryptables.
L’assiette fiscale, la clé pour comprendre le sens d’une mesure d’aide
À intervalles réguliers, les gouvernements publient le budget de l'État. Bien souvent, ce budget est accompagné de deux statistiques : la répartition des recettes et la répartition envisagée des dépenses. Pour faire simple ces statistiques répondent à la double question : d’où vient l’argent du pays et que comptent en faire les dirigeants ? N’allez pas croire que cette répartition change facilement ! Au contraire, ce que l'on appelle l’assiette fiscale, est remarquablement stable d’un gouvernement à l’autre. La raison est simple : l’état, comme l’individu, ne change pas radicalement ses sources de revenus. On ne quitte pas son travail, subitement, pour se lancer à la conquête d’un hypothétique revenu supplémentaire. Au contraire, on cherche à obtenir une augmentation, ou l’on cherche le même emploi ailleurs, mais mieux rémunéré. Un pays c'est pareil ! Et les aides gouvernementales sont donc en phase avec cette situation.
Pour comprendre les aides gouvernementales, intéressons-nous plus particulièrement aux recettes prévues aux budgets 2008-2009 et comparons l'assiette fiscale canadienne et française.
En France, c’est la TVA, qui représente la majeure partie du revenu de l’état français en 2007. Dans le cas du Canada, la source de revenus principale, c’est l’IRP (Impôt sur le Revenu des particuliers), puisqu’elle représente 50% de l’assiette fiscale. À côté, l’impôt des sociétés est négligeable (moins de 16%) tant au Canada qu'en France. La TPS, l'équivalent canadien de la TVA, ne représente que 13% des revenus générés. La France et le Canada utilisent donc des modèles économiques différents. Plus souvent qu’autrement, ils ont été acquis des générations précédentes et ne représentent pas forcément la volonté du gouvernement actuellement au pouvoir. Seules les dépenses peuvent permettre à un gouvernement de favoriser tel ou tel aspect car, en fin de compte, il n’a que peu de pouvoir à court terme sur ses entrées d’argent.
Les aides gouvernementales répondent à la même logique dans les deux pays : "Il faut faire croître la part principale des revenus de l'État". Cependant les stratégies seront différentes, car adaptées au modèle économique local. La France a intérêt à faire consommer sur son territoire et doit donc stimuler la consommation et inciter les entreprises à participer à cet effort. Le Canada, quant à lui, doit créer des salariés contribuables, payeurs de taxes, au taux d’imposition le plus élevé possible. Il doit donc s’agir d’emplois de qualité, tant dans la valeur que dans la durée. Ce sont donc des mobiles très différents qui animent les créateurs de mesures fiscales. Comment tout ceci s’applique aux aides gouvernementales ? Voyons-le en prenant un cas concret, le crédit d’impôt pour la Recherche.
CIR Français et RS&DE Canadien
Il y a de nombreuses années déjà que le Canada, s’inspirant d’une mesure fiscale australienne, a instauré son crédit d’impôt à l’investissement pour la Recherche Scientifique et le Développement Expérimental (CII RS&DE). À la fin des années 90, une mission parlementaire française a visité le Canada pour étudier ce crédit dans le but d’améliorer le programme équivalent en France, le Crédit d’Impôt Recherche (CIR). Finalement, de nombreuses dispositions canadiennes ont été copiées telles quelles dans le programme français. Pourtant, à la lecture des critères d’admissibilité, une différence saute aux yeux. Alors que le programme français met l’accent sur l’innovation et la nouveauté, le programme canadien est dépourvu de cette notion. Pire, les circulaires d’interprétation canadiennes stipulent que la nouveauté ou le caractère inédit d’un projet n’est pas un signe d’admissibilité. Cette différence s’explique très bien si l’on comprend comment la mesure s’inscrit dans la stratégie globale de l’économie de chaque pays. Où que l’on soit, on peut résumer le fonctionnement des entreprises très grossièrement, en disant qu’elles “consomment” du personnel (principal poste de dépenses) et qu’elles “produisent” des biens à vendre (principale source de revenus).
Du point de vue du gouvernement, alors qu’en France on veut que l’entreprise produise des biens taxables le plus vite possible, au Canada on veut qu’elle utilise des gens bien payés (et bien taxés).
L’incidence sur le crédit d’impôt pour R-D est très significative de ces volontés distincts. Au Canada, tout est fait pour pousser le chef d’entreprise à prendre le risque d’employer des gens bien payés. Même les taux de crédits s’expliquent bien : les dépenses salariales sont mieux soutenues que les dépenses de sous-traitants ou de matériel. Cette volonté se voit jusque dans le quotidien de la fiscalité des entreprises. Le fardeau administratif est bien plus léger au Canada qu'en France. La part patronale est minime et l'impôt social est très faible. Même les mesures qui encadrent le licenciement sont simplifiées pour pousser l'entrepreneur à embaucher. Et ça marche ! Plusieurs entreprises bien établies aux États-Unis, décident tout de même de placer leur centre de recherche dans la Silicon Valley du Nord, le Triangle Ottawa-Toronto-Québec. Au coeur de cette zone, à Montréal, les géants du jeux vidéos UBISOFT et EA Games, ont déjà bien compris l'intérêt de ne pas être contraint à l'innovation et d'avoir un fardeau fiscal léger, surtout sur un poste de dépense aussi sensible que la Recherche-Développement. Pas de contrainte à l'innovation signifie que les échecs, les remises en question, les pertes de temps, et les essais sont tous admissibles au Canada. Pas de fardeau fiscal lourd, signifie que l'on peut payer ces individus clés qui font avancer à la compagnie, à la hauteur du marché. Résultat, tout le monde est content: les entreprises voient leurs dépenses de R-D réduites, des milliers d'emplois sont créés, et autant d'impôts supplémentaires dans les caisses de l'État Canadien pour offrir des services à la population.
Ne pas négliger le contexte
Avant de réclamer une aide publique, il faut essayer de comprendre comment elle s'inscrit dans la stratégie globale du gouvernement. Cela permet d'anticiper les irritants éventuels, mais aussi de ne pas se tromper d'aide ! C'est aussi le meilleur moyen de s'épargner des déceptions, voire des frustrations et surtout des pertes de temps.