Par Jean-Luc Watine (chroniqueur exclusif) - Spécialiste dans l'optimisation du statut du dirigeant
Les Etats-Unis ont accouché de champions numériques comme Google, Apple, Facebook et Amazon, le fameux sigle GAFA et même GAFAT avec Twitter, nouveau venu sur les réseaux sociaux.
L’Europe a loupé le coche : notre continent ne manque pourtant pas de talents. La raison en est que nous souffrons cruellement de notre représentation du changement et de l’innovation.
Les Européens se rapprochent de la théorie de Lamarck : le grand singe s’est redressé pour marcher dans la jungle, la fonction crée donc l’organe. De même, si l’on a un nez, c’est pour porter des lunettes ! La preuve : on porte des lunettes. Cette explication reste simpliste…
Charles Darwin a complété cette théorie de Lamarck en montrant qu’une espèce peut introduire des variations de gênes et de comportements pour s’adapter à son environnement : toute différence est une potentialité pour innover. Les entrepreneurs Américains favorisent ainsi la diversité dans leurs équipes pour attirer des variations et innover.
Les dirigeants Européens ont, à l’inverse, des difficultés à calquer la diversité : nous considérons l’échec comme une faute et nous ne prenons pas de risque. Les variations sont ainsi appréhendées comme des écarts par rapport à une vision idéale ou platonicienne du monde. Or, pour réussir son projet, il faut se mouiller, tâtonner, accepter l’imperfection et se planter avant de réussir…
Les entreprises européennes se doivent donc de multiplier les échanges avec leur écosystème, via des alliances ou des partenariats : plus il y a d’échanges à l’intérieur d’un système, plus celui-ci sera résilient. La coévolution est indispensable, une entreprise bien intégrée dans son environnement résiste mieux aux envahisseurs. Oublions donc le principe de précaution, la Tour d’Ivoire chère à Montaigne ou le village Gaulois isolé de tout !
Les entreprises doivent aussi anticiper la rupture qu’elles provoquent : comme les civilisations, celles-ci meurent de leurs points forts, à l’instar de Kodak face à la photo digitale ou Nokia face à Samsung ou encore la Muraille de Chine ou la ligne Maginot qui n’a pas arrêté les chars Allemands.
General Electric, Michelin, Air liquide ou l’Oréal ont toujours une idée d’avance sur leurs concurrents, Apple lance en permanence de nouveaux I-phones et récemment une montre connectée. Lorsque vous avez la maîtrise d’un marché, il faut aussi très vite créer des variations car ceux qui vous copient seront plus rentables que vous. Cette démarche de remise en cause permanente se retrouve dans la métaphore tirée du livre de Lewis Caroll : de l’autre côté du miroir. Alice qui court aux côtés de la Reine Rouge s’étonne que le paysage ne bouge pas. Réponse de la Reine Rouge : Ici, tu vois, on est obligé de courir pour rester à la même place.
L’innovation a donc changé de visage : ce n’est plus une finalité mais un moyen et c’est ce que doit réaliser une entreprise. Une entreprise qui n’innove pas est vouée à une mort certaine, un marché entier peut se voir menacé par un potentiel disruptif d’un nouvel entrant. Le numéro 2 français des biscuits, Poult, l’a bien compris en créant la « Poult Académie » qui mélange ouvriers et cadres pour plancher sur de nouvelles idées. Une bonne manière pour faire émerger de nouveaux business, car le problème de l’entreprise actuelle, c’est que si on ne prend pas de risque, on risque encore davantage. C’est le prix à payer pour voir des AirBandB, Uber Européens, les start-ups Françaises BlaBlacar, KissKissBank nous montrent le chemin.