Par Gilles Martin (chroniqueur exclusif) – Président du cabinet de conseil en stratégie et management PMP
Dans un monde ouvert, parler d’innovation, c’est forcément évoquer « l’open innovation » : on est passé d’une vision de l’innovation incarnée par des centres de Recherche & Développement fermés, à la mise en œuvre de réseaux et de liens avec l’extérieur. Réussir l’innovation, c’est savoir capturer tous les savoirs externes utiles qui circulent entre différentes organisations, institutions, entreprises, et de le rediriger correctement vers l’entreprise pour lui procurer un avantage compétitif.
L’auteur de référence sur le sujet reste Henry Chesbrough, auteur de nombreux ouvrages (aucun traduit en français, signe du manque d’intérêt pour le sujet de nos élites nationales ?). C’est ma référence.
Ce que nous apprend Chesbrough, c’est qu’il ne suffit pas de se créer des réseaux et connexions externes pour générer plus d’innovation dans l’entreprise. Et pour un consultant appelé à aider ce processus, c’est précisément le challenge : la reproduction de techniques formelles pour établir des partenariats et des alliances avec des entités externes ne garantit pas le succès de l’innovation.
D’autant que cette affaire ne concerne pas, finalement, que les stratégies d’innovation des entreprises, mais aussi les démarches de chacun : est-ce que les réseaux auxquels j’appartiens, les communautés que je fréquente, mes partenaires, me rendent personnellement innovant ? Ou bien au contraire suis-je enfermé dans un monde qui ne m’envoie toujours que les mêmes informations, celles qui me plaisent, et qui me renforce dans mes certitudes et maintient les œillères.
Les réseaux dont nous avons besoin pour être efficace et innovant doivent distinguer :
– Les liens que Chesbrough appelle « deep ties » : ce sont ceux qui permettent de maîtriser un marché, ou une technologie. Leur mise en œuvre nécessite d’être présent géographiquement là où les experts de ce marché ou de cette technologie sont situés ; pour en tirer le meilleur bénéfice il est bien sûr nécessaire de fréquemment entrer en relation avec les partenaires du réseau ; ce qui fait la qualité des liens, c’est la fréquence de leur activation ; et ce qui fait l’efficacité, c’est la confiance. Être en confiance au sein d’un réseau de partenaires et « d’amis »permet de bien meilleurs échanges, forcément, que les contrats et procédures seuls.
Malheureusement, la qualité de ces liens, les relations de confiance entre alliés, peuvent aussi empêcher l’ouverture et l’innovation. C’est pourquoi ces « deep ties » doivent être complétés par d’autres liens.
– Ce sont les « wide ties » : Ce sont les liens plus faibles, créés selon les circonstances, ces affiliations à des cercles ou associations que l’on active qu’épisodiquement, mais qui constituent une source de nouvelles idées et de nouvelles rencontres. Chesbrough distingue encore deux types de liens dans cette catégorie : ceux qui servent à l’ « exploration », c'est-à-dire la recherche de nouvelles opportunités et de nouveaux développements au travers d’alliances ; et ceux qui portent plutôt sur l’ « exploitation », c'est-à-dire la capitalisation sur les ressources et savoirs existants dans l’entreprise. C’est ce mix d’exploration et d’exploitation qui doit être bien ajusté.
Chaque entreprise, chacun, doit trouver et recenser ses propres mix. On pense aux Universités, aux instituts de Recherche, aux institutions publiques, également aux Venture Capitalists, aux investisseurs, aux copains d’avant. Mais l’on doit, là encore, distinguer :
– Les liens formels : ceux qui se matérialisent par des alliances contractuelles, des accords commerciaux ou de License, des contrats de distribution. ;
– Mais aussi des liens plus informels : communautés de pratiques, membre d’associations professionnels, de réseaux sur les réseaux sociaux. Et aussi les liens personnels des employés de l’entreprise, leur réseau personnel étant, finalement, un relais supplémentaire pour étendre la capacité de l’entreprise à aller chercher des idées nouvelles et à les faire irriguer l’entreprise.
Ainsi, ces liens formels et informels, « deep ties » et « wide ties », font l’objet d’une véritable gestion de portefeuille. On peut mettre tout ça en matrice ( un truc de consultant).
La capitalisation des ressources et des savoir faire aura besoin des liens formels «et « deep ».
Inversement, ce sont les liens « wide » et les plus informels qui apporteront le plus de potentiels d’innovation, pouvant d’ailleurs devenir des liens plus formels si le potentiel devient une nouvelle activité, un nouveau produit.
Alors, pour engager un plan d’actions personnel, pour son équipe, ou pour l’entreprise globalement, cette cartographie des réseaux est un bon point de départ.
Paradoxalement, une petite entreprise sera plus sensibilisée, car c’est précisément son portefeuille de liens et de réseaux qui la rend « comme une grande, en mieux ». Les entreprises plus importantes vont souvent considérer que la volet « deep » de leurs connaissances doit rester un processus internalisé ( ce que la littérature managériale appelle « core competency », celle qui nous rend différent et que l’on ne partage avec personne).
Mais, sur le terrain des liens informels et « wide », les deux entreprises, la petite comme la grande, se retrouvent dans des situations identiques : la recherche de nouvelles capacités d’innovation, dans des domaines dont elles ignoraient même parfois qu’elles pourraient avoir besoin. Et le gagnant n’est pas connu à l’avance.
On s’aperçoit ainsi combien ce portefeuille de réseaux conditionne la stratégie d’innovation.
En cette rentrée, où l’activité repart dans de nombreuses entreprises, c’est le bon moment pour vérifier que notre portefeuille fonctionne bien, non ?