Par Françoise Keller (chroniqueur exclusif) – Coach et formatrice – Management, Gouvernance et Communication NonViolente®
« Il est effrayant de penser que cette chose qu’on a en soi, le jugement, n’est pas la justice. Le jugement, c’est le relatif. La justice, c’est l’absolu. Réfléchissez à la différence entre un juge et un juste» Victor Hugo
Nous avons vu le mois dernier une première croyance utile pour nous pourrir définitivement la vie au travail « ce qui marche bien est normal, n’a pas d’intérêt et ne mérite pas qu’on en parle. »… Je vous invite à examiner une deuxième compétence extrêmement utile pour éviter d’être heureux au travail.
Un site travaillant sur la pédagogie écrit « L’exercice du jugement par les enseignants ne présente pas un caractère totalement innovateur. En effet, ils ont toujours interprété les données recueillies sur les apprentissages de l’élève. Ce qui est nouveau, c’est l’accent mis sur le jugement professionnel à d’autres moments de la démarche d’évaluation. ». Nous voilà donc face à une compétence bien ancrée en chacun de nous depuis l’âge de trois ans environ : savoir juger, savoir être jugé, savoir comparer…
Nous avons un cerveau, une intelligence qui nous permet d’évaluer, de classer, de comparer et de juger. Cette compétence est fort utile dans notre travail quotidien. Elle permet au médecin de poser un diagnostic, à l’entrepreneur d’évaluer la santé de son entreprise, à l’ingénieur de concevoir ou fabriquer des produits, au commercial de les vendre, à l’acheteur de les acheter. Ce n’est donc pas cela qui va nous pourrir la vie. Cela constitue plutôt le fond de notre activité quotidienne.
Si nous voulons réellement nous pourrir la vie au travail, il est plus utile de juger les personnes, ce qu’elles sont de préférence, voire ce qu’elles font et ce qu’elles disent, de manière négative si possible, voire de manière positive. Nous pouvons commencer par nous exercer en jugeant autrui, notamment les personnes avec qui nous avons intérêt à coopérer. Voici quatre manières de juger autrui….
Ces quatre manières sont intéressantes car elles ont plusieurs avantages destructeurs :
- Elles s’intéressent uniquement au passé qu’on ne peut pas changer, elles sont donc faciles à ressasser et peuvent envahir de manière obsessionnelle notre esprit.
- Elles ne donnent aucune information factuelle et n’apprennent rien à personne. Il est beaucoup plus inefficace et destructeur de dire « Vous êtes un être dominateur » que de dire « Au moment où nous nous prononcions sur le problème, je ne vous ai pas vu écouter les propos des autres. Je ne sais pas comment faire avec vous pour faire entendre mon point de vue, quand je ne suis pas d’accord avec vous. »
- Elles ne disent rien de personnel et donnent à l’autre une responsabilité qu’il n’a pas. Il est beaucoup plus inefficace de dire « Votre compte-rendu est un torchon » que de dire « Je n’ai pas retrouvé dans votre compte-rendu les observations que j’ai relevées moi. Je me sens très contrarié car je tiens à un respect de la parole de chacun. Pouvez-vous reprendre votre compte-rendu ? »
- Elles nous invitent à déformer la réalité et notre observation du réel avec les lunettes de nos jugements ; il est si facile de voir le désordre d’une personne désordonnée, le retard d’une personne qui est toujours en retard, le manque de fiabilité d’une personne peu fiable !
- Elles réduisent à l’impuissance et à la culpabilité ; l’utilisation du verbe « être » en particulier, laisse à penser que ce qui a toujours été le sera toujours ; si nous avions utilisé notre mental ainsi vers dix mois, nous n’aurions sans doute jamais pris le risque de nous mettre un jour à marcher sur nos deux pieds !
Si vraiment d’ailleurs vous souhaitez vous pourrir la vie de manière sure et pérenne, vous pouvez également dire à l’autre ce que vous pensez de lui. Et si nous n’en avons pas le courage, soyons certains que notre non verbal saura transmettre les jugements inavouables que nous avons sur autrui !
Nous pouvons même aller plus loin et instaurer le jugement comme un système dans notre entreprise, en instaurant des rituels d’évaluations et de jugements. Ces systèmes s’instillent de manière très subtile dans les évaluations avec des questions comme « Trouvez vous l’intervenant très compétent, moyennement compétent, incompétent ? » ou dans la pratique des feedbacks positifs « Identifiez en une phrase les trois qualités principales de votre collaborateur. »
Enfin nous avons une possibilité encore plus puissante de nous pourrir la vie de manière extrêmement efficace : nous juger nous-même. Nous pouvons nous appliquer à nous-même ce que nous appliquons aux autres, avec le pouvoir d’être encore plus dur avec nous-même (au diable la politesse !) et surtout avec le pouvoir de croire facilement ce que nous disons de nous….
Eh bien, moi je me juge un peu sévère aujourd’hui alors changeons un instant de registre !
Pour mettre un peu plus de bonheur et d’espace dans notre vie professionnelle, invitons-nous ce mois-ci à distinguer les jugements et la réalité des faits….
Voici quelques exemples…
- Je ne suis pas impulsif…. J’ai dit hier une parole que je ne pensais pas en réalité…
- Vous n’êtes pas autoritaire…. Quand vous me dites « Faites moi une proposition pour demain huit heures, je suis furieux car j’aimerais être pris en compte dans mon organisation, seriez vous d’accord qu’on regarde ensemble un planning satisfaisant pour vous et pour moi ? »…
- Il n’est pas manipulateur… Je n’ai pas trouvé pour l’instant un moyen d’être en sécurité dans la relation avec lui…
- Il ne fait pas froid… J’ai froid…
- Ce bureau n’est pas en désordre… Ca fait une heure que je cherche le dossier de Monsieur Dupont et j’apprécierai de gérer mon temps autrement. Pourrions-nous convenir d’un mode de classement commun ?
- Je suis toujours en retard… Jusqu’à maintenant, j’ai tellement peur d’arriver en avance et de perdre du temps que j’ai du mal à respecter les horaires de mes rendez-vous. Comment pourrais-je faire autrement pour ma journée de demain ?
Bonne route !