« Petite chronique boursière  » : Dis, Tonton Sam, pourquoi tu tousses ?

Vincent_colotPar Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier

Qui pense à la Bourse pense directement à Wall Street. La place de New York n’est-elle pas le temple de la finance mondiale ? La finance restant une discipline éminemment américaine, il est également logique que les chercheurs spécialisés fassent de Wall Street leur terrain de jeu et d’investigation favori. Et certaines de leurs conclusions peuvent être particulièrement utiles pour les investisseurs du monde entier car l’évolution du capitalisme américain donne parfois de précieuses indications sur ce qui est à attendre ailleurs, du moins là où les règles du marché sont appelées à se renforcer.

Récemment mon attention a été attirée par une série de travaux qui montrent une modification sensible de la réalité économique et boursière des entreprises américaines.  Saviez-vous ainsi que les Etats-Unis comptaient, en 2016, nettement moins d’actions cotées (3671) qu’en … 1976 (4796) ? Après un pic en 1996 (7322 entreprises cotées), sur les deux dernières décennies, la cote a perdu pas moins de la moitié de sa population. En cause, bien évidemment, moins d’entrées (IPO) que de sorties. Comment l’expliquer ?

D’une part, une présence en Bourse coûte de plus en plus cher à une entreprise en frais directs (cotation) et indirects (obligations de toutes sortes en matière d’information et de management). Certes, le petit actionnaire est ainsi mieux protégé. Mais, de plus en plus, les entreprises de taille modeste ou moyenne n’ont pas les moyens de suivre. Elles ne rentrent dès lors plus sur le marché ou, pour celles qui s’y trouvaient, n’hésitent plus à le quitter.

D’autre part, et ce point est encore plus intéressant, la multiplication, ces dernières années, des opérations de fusions et d’acquisitions, prenant souvent pour cibles des entreprises cotées, réduisent également la cote. En conséquence, les entreprises américaines, aujourd’hui cotées, sont plus grosses (quelque 7 milliards USD de capitalisation moyenne) et plus matures (plus de 18 ans de présence moyenne) au sein de secteurs eux-mêmes plus concentrés. Cette tendance à la concentration, avec l’émergence de leaders ultra-dominants, est remarquable. L’éditorialiste du Wall Street Journal, Jason Zweig, épingle que cette tendance n’est pas limitée à quelques secteurs emblématiques comme, par exemple, les logiciels informatiques. Il note ainsi, à la suite des travaux des chercheurs Grullon, Larkin et Michaely, que dans les services immobiliers, alors qu’il y avait en 1997, 42 entreprises cotées dont les 4 plus importantes généraient 49% du chiffre d’affaires sectoriel, il n’y en avait plus que 20 en 2014 avec le top 4 s’adjugeant 78% du chiffre d’affaires total. Evolution similaire pour les supermarchés où on est passé de 36 groupes cotés en 1997 avec un top 4 comptant pour un peu plus de 50% du CA à seulement 11 entreprises en 2014 avec un top 4 accaparant … 89% de part du gâteau ! Cette tendance ne se limite pas à la concentration de l’activité mais également à celle des bénéfices, directement liée à l’accroissement du pouvoir de marché de ces groupes. En 20 ans, la rentabilité médiane (en pourcentage du CA) des groupes du S&P500 est passée de 6,7% à 9,7% et celle du top 25 de cet indice a doublé.

La capitalisme de l’Oncle Sam est-il donc malade et finira-t-il, comme l’annonçait en son temps Karl Marx, par se phagocyter intégralement ? Rappelons qu’il est de bonne orthodoxie de tabler sur le principe de « destruction créatrice », stipulant que de nouveaux acteurs viennent régulièrement bousculer puis prendre la place d’entreprises établies, devenues trop conservatrices. Il est à tout le moins encore un peu tôt pour jeter aux oubliettes cette règle de fonctionnement. Régulièrement, en effet, la nature même des secteurs se redéfinit, notamment au gré des progrès technologiques. Rien n’est donc assuré d’avance en pareilles occurrences. Parfois, des pans entiers de l’économie se créent ex nihilo (Internet, biotech, robotique, etc.) avec des leaders qui s’affirment plus rapidement qu’auparavant et qui en viennent à surpasser par leur puissance les acteurs des secteurs préexistants, devenus, dans certains cas, obsolètes.

L’investisseur est-il impuissant devant ces bouleversements ? Sans doute pas. Certes, celui qui recherche principalement des actions bon marché risque davantage que par le passé de se retrouver avec des actions d’entreprises qui sont en fait sur le déclin. Mais, dans une logique de renouvellement sporadique des secteurs eux-mêmes, il reste toujours dangereux d’opter pour des actions trop largement valorisées. Il existerait néanmoins une façon de tirer profit de la tendance à la concentration. Les chercheurs ont en effet constaté que, entre 2001 et 2014, celui qui aurait investi dans les secteurs où les firmes du top dominaient de plus en plus tout en pariant à la baisse sur ceux où les entreprises du top faiblissaient, celui-là aurait battu la Bourse de quelque 9% par an sur la période. Pas si mal, indeed … Si vous voulez répliquer ce genre de pari, l’existence aujourd’hui de fonds indicé s (ETF) sectoriels vous facilite grandement l’existence.

 

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