Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier
Rendons à César ce qui lui revient : l’idée de cette chronique est largement empruntée à Philippe Maupas, actif sur Twitter (@AlphaBetaBlogFR en français et @philmop en anglais) et sur le Net (https://alphabetablog.com/). Je me suis déjà plaint ici du peu de présence sur le Net de professionnels de la finance de haut niveau, désireux de partager leurs lectures et leurs expériences dans le domaine. L’oiseau rare existe néanmoins et il s’appelle Philippe Maupas : cet analyste financier certifié (CFA), aujourd’hui consultant, est passé par la presse financière, le monde des fintech et la direction de Morningstar Europe. A l’affût de l’actualité des fonds de placement, il apporte quotidiennement un éclairage bienvenu des enjeux de la gestion active et passive tant en France que sur la scène internationale. Lisez-le !
C’est en lisant sa semaine Twitter n°41 sur son blog alphabetablog.com que l’idée de cette chronique m’est donc venue. Philippe revient sur les confidences récentes de deux stars de la finance active, à savoir le Français Edouard Carmignac et l’Américain David Einhorn.
Eh bien, le moins que l’on puisse dire, c’est que nos deux amis, tout auréolés de légende qu’ils puissent être, ne tiennent pas une forme olympique !
A la tête du fonds bien connu Carmignac Patrimoine, Edouard Carmignac a principalement gagné ses lettres de noblesse à la suite de la crise financière de 2008, année où son fonds délivra une performance légèrement positive malgré le bain de sang boursier. Peu après, alors que ses commentaires étaient écoutés, y compris en haut lieu, il n’hésita pas à interpeler les Présidents de la Banque Centrale Européenne (Trichet d’abord et Draghi ensuite) en défendant une politique monétaire très accommodante (taux directeur à zéro et achats massifs d’obligations d’Etats). Ce qui fut effectivement la politique adoptée. (“Whatever it takes …” … vous vous souvenez de ça ?). Un esprit aussi brillant et animé d’une telle prescience aurait dû anticiper correctement le comportement des marchés et donc réaliser une performance extraordinaire à la tête de son fonds. Et pourtant … ce ne fut pas le cas ! Sur plusieurs périodicités (allant de 1 à 10 ans), le fonds reste éloigné des meilleurs. La faute à Edouard ? L’intéressé se trouve des excuses et notamment, un faible recrutement d’analystes financiers (bon, ça, tout de même, c’est plutôt sa responsabilité) et des marchés qui ont évolué de façon “anormale”. Qu’il est donc difficile le métier de gestionnaire de fonds : même lorsqu’on sait ce qui va se passer, on arrive tout de même à se tromper sur la façon dont les marchés vont réagir à la situation !
Réputé pour avoir, en son temps, averti avant bien d’autres sur la fragilité de Lehman Brothers (et pour avoir ainsi gagné beaucoup d’argent en usant de son analyse), David Einhorn, de Greenlight Capital, reconnaît davantage la vérité toute crue : “Nous nous trompons sur toute la ligne”, dit-il en substance dans sa récente lettre à ses investisseurs. S’il épingle lui aussi des anomalies de marché, il ne rejette pas totalement la possibilité qu’il ne comprend plus suffisamment la situation économique et financière. “Suis-je devenu trop vieux, trop rigide ?”. Voilà qui est davantage élégant. Sans doute les investisseurs américains, clients de son fonds, ne se laissent pas berner par sa seule bonne tête. Ils veulent être certains que leur gestionnaire analyse froidement sa performance pour être en mesure de l’améliorer par la suite. Edouard, si tu nous écoutes … Certes, le style de gestion de David Einhorn (“value”), du moins appliqué sèchement, est largement resté en panne ces dix dernières années. Mais des erreurs (reconnues par lui) ont été commises. Conclusion de l’ex-légende : “Restons sur notre ligne, après avoir tiré les leçons de certaines bévues : c’est au moment où la sous-performance est maximale qu’il peut y avoir un retournement”.
Edouard et David sont donc descendus de leur piédestal. La malchance les poursuit-elle ? Il serait tout aussi facile d’affirmer que c’est la chance qui les avait plutôt bien servis au départ. Quoi qu’il en soit, à l’aune de ces deux exemples, le petit investisseur ne prendra jamais pour argent comptant les commentaires et conseils de supposées légendes aussi facilement déboulonnables.