En quelle confiance avons-nous confiance ?

Gilles MartinPar Gilles Martin (chroniqueur exclusif) – Président du cabinet de conseil en stratégie et management PMP

Les sondages disent que nous ne sommes plus que 23 ou 24% à
lui « faire confiance »…Pourtant il y a un an tout juste, il était
celui en qui la majorité d’entre nous faisait le plus confiance. Ce n’est pas
facile, la confiance.

La confiance, c’est devenu l’ingrédient majeur pour sortir
de la crise, et des problèmes. Jean-Pierre Clamadieu le dit dans une interview
pour Enjeux Les Echos de ce mois-ci : « Ce qui peut faire redémarrer
l’économie, c’est la confiance. Celle des consommateurs, celle des industriels
qui doivent investir».

C’est pareil pour les dirigeants, les entrepreneurs, et les
consultants : pour que les affaires se développent, que les contrats se
signent, que les affaires marchent, il la faut là aussi : la confiance.

Mais c’est quoi exactement la confiance ?

En fait la source de la confiance, c’est le risque, car
quand la situation est certaine et prévisible, la confiance n’est pas une
nécessité. Si le cadre juridique (le contrat), les clauses, les conditions du
futur, si tout ça est clair et bien cadré, on n’a pas besoin d’ajouter la
confiance. Il suffit de tout bien prévoir. Mais justement, en ce moment, on
n’arrive plus à tout prévoir, c’est l’incertain qui prend le dessus. Pour
réussir, et entreprendre, il faut prendre des risques. Et c’est précisément
peut-être pourquoi on n’a jamais eu autant besoin de la confiance.

Faire confiance, c’est se rendre vulnérable finalement, et
l’accepter ; c’est une sorte de propension à risquer d’accroître sa
vulnérabilité à l’égard d’une autre personne (un partenaire, un associé, un
client, un consultant) dont on ne peut pas contrôler ou prévoir le
comportement. On pourrait même considérer, paradoxalement, qu’il y a vraiment
risque de la confiance quand la perte potentiellement encourue en cas d’abus de
cette confiance par l’autre (celui à qui on accorde sa confiance) est
supérieure au gain obtenu si autrui n’abuse pas de la confiance qui lui est
donnée. C’est précisément parce que « faire confiance », c’est
préjuger que l’autre n’en abusera pas que l’on « fait confiance ».

Pour aller plus loin, deux professeurs, Brigitte Pereira et
Alain Fayolle, dans la « Revue Française de Gestion » de ce mois-ci, en
faisant une synthèse des auteurs sur le sujet, nous aident à  distinguer trois types de confiance : la
confiance selon la logique économique, la confiance interpersonnelle, et la
confiance institutionnelle. Intéressant d’aller s’y étalonner, pour mieux
comprendre de quoi nous avons besoin.

La confiance selon la
logique économique
, c’est celle, dans une logique de recherche de profit,
qui résulte d’un calcul rationnel qui incite les individus à ne pas tricher, à
cause des sanctions contractuelles encourues. Ceux qui caractérisent ainsi
« la confiance » vont nous parler de « gouvernance », de
« droits et devoirs », de « transparence ». Cette forme de
« confiance » n’est donc pas du tout interpersonnelle, mais au
contraire le fruit d’un « calcul d’intérêt ».C’est ce qu’essayent de
faire les politiques en ce moment. Tout dire, tout déclarer, la transparence
pour tous, mais aussi les lois, les obligations, les interdictions, tout un
arsenal de rationalité économique pour faire croire que ce serait ça la
confiance. Probablement utile dans une certaine mesure, mais cela ne constitue
pas la vraie « confiance », plus émotionnelle, qui nous ferait
prendre des risques, au contraire. C’est plutôt une forme de conception
étatique de la confiance.

La confiance
interpersonnelle
, elle, c’est inversement celle qui constituerait une sorte
de qualité sociale, qui favorise la coopération et la coordination entre les
individus. C’est une forme sûrement plus libérale de la confiance. Cette
confiance, c’est «  la volonté délibérée d’être vulnérable aux actions
d’une autre partie, fondée sur l’espérance que celle-ci accomplira une action
importante pour la partie qui accorde sa confiance, indépendamment de la
capacité de cette dernière à surveiller ou contrôler l’autre partie ».
Cela n’a donc plus rien à voir avec un calcul d’intérêt, ou la recherche d’une
rationalité économique, encadrées par l’action des règlements et des normes. Ce
qui fait cette confiance, ce sont des bases plus affectives, ce que l’on
pourrait appeler des valeurs : l’honnêteté, l’intégrité, la fiabilité.
C’est aussi la réputation qui entre en jeu : le passé de la relation, ou
un certain attachement émotionnel qui peut être spontané ( on connaît tous ces
gens qui « inspirent confiance », y compris parmi eux ces escrocs à
qui on aurait donné « le bon Dieu sans confession »…ce qui montre
bien toute la fragilité de cette forme de confiance). Quand cette forme de
confiance existe, à bon escient, les avantages économiques sont évidents :
la coopération se fait dans la durée, pas besoin de trop de formalisme ( et
donc de coûts exagérés de transactions, au travers de contrats, de contrôles
divers, de reporting excessifs). C’est ce type de confiance qui permet
d’augmenter la création de valeur et surtout l’innovation. Cela ne peut se
passer que si on n’est pas en permanence, dans les relations avec les autres,
en train d’avoir « peur de se faire avoir », ou « peur d’être
lésé ». Ceux qui vivent ainsi sont par ailleurs, justement peut-être à
cause de ce comportement de peur et de défiance, ceux qui se « feront
avoir » en premier.

Toutefois, un ingrédient complémentaire de la confiance va
être aussi nécessaire : la confiance institutionnelle.

La confiance
institutionnelle
est celle qui résulte du cadre des échanges en
société : le système juridique et les habitudes professionnelles qui
produisent des normes et des règles permettent d’une certaine manière le
développement de la confiance parce que l’on pense que l’autre, avec qui nous
prévoyons une relation d’affaire, se conformera à cette légalité. Ces règles
sont celles du système de lois, mais aussi les normes communes, les
comportements, que nous partageons avec nos pairs, avec ceux qui sont du même »
club » que nous. C’est grâce à ce système que l’on prévient un
comportement trop opportuniste de son partenaire contractuel. C’est ce cadre
« institutionnel » que nous nous fabriquons entre nous qui nous
permet de coopérer. Ce sont aussi ces « règles déontologiques » qui
deviennent évidentes pour les parties prenantes et source de richesse et de
création de valeur, et qui permettent d’élever les standards d’excellence.

La confiance réelle est la somme de ces trois types de
confiance. C’est grâce aux références communes que la confiance se développe.
C’est ainsi que les dirigeants des grandes sociétés, qui ont effectué des
études équivalentes, qui fréquentent les mêmes lieux et clubs ou syndicats,
favorisent les rapprochements, les effets de réseaux ; ce sont ces réseaux
qui se font confiance.  Et il faut donc
développer le plus possible de réseaux. Même phénomène pour les acheteurs et
les vendeurs qui instaurent entre eux des règles professionnelles ; la
confiance s’intègre ainsi dans ces rapports institutionnels. Mais ce sont les
acteurs eux-mêmes qui établissent entre eux, dans leurs réseaux, les règles
qu’ils veulent partager, et non une autorité qui voudrait imposer la confiance
comme une loi autoritaire.

Plus les réseaux se
développent, plus les initiatives fleurissent. D’où d’ailleurs la nécessité de
ne pas entreprendre de façon isolée, pour justement s’insérer dans ces réseaux
de confiance.

Au moment où ceux qui en appellent au retour de la
confiance, politiques et régulateurs en tous genres, normalisateurs,
contrôleurs, et même  moralisateurs,
veulent nous imposer toujours plus de contraintes et de  « 
transparence », oserons-nous opposer une vraie confiance, fondée sur les
relations interpersonnelles, le développement des réseaux, les plus ouverts possibles,
les standards d’excellence qui développeront l’innovation, la liberté
d’entreprendre et le courage du risque ?

Et si, pour retrouver la confiance, il suffisait de faire
confiance, vraiment, à la confiance ?

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