Par Valérie Weill (chroniqueur exclusif) – Consultante et accompagnatrice en création/développement d’entreprise
En accompagnant très régulièrement des créateurs d’entreprise, je me rends compte combien leurs attentes et leurs comportements diffèrent en fonction de leur tranche d’âge. Pour illustrer cela, je trouve intéressant de croiser les théories de Frédéric Hudson (célèbre coach américain) sur les étapes de développement à l’âge adulte avec ce que je constate au quotidien du profil de mes créateurs.
Selon Hudson, à 20-30 ans, on est dans une phase d’expérimentation, on débute sa vie adulte, on commence à construire son avenir professionnel. Effectivement, les créateurs de 20-30 ans que je rencontre sont plutôt « tout feu tout flamme », voire pour certains un peu inconscients… Ils sont très dynamiques, s’impatientent vite devant les lourdeurs administratives et ressentent la création d’entreprise comme un besoin d’affirmation, d’expérimentation beaucoup plus « fun » que d’aller trouver un poste salarié ! Pour certains, c’est déjà le moyen de refuser de se soumettre à l’autorité suite à une première expérience professionnelle salariée mal vécue. Ils ont une soif d’apprendre, de réaliser un projet très forte et sont très peu préoccupés par la crainte d’un éventuel échec. En général, mon rôle avec eux consiste donc à les canaliser, les mettre en phase avec la réalité du terrain, les sensibiliser aux risques qu’ils prennent, les aider justement à les parer et enfin à organiser méthodiquement leur activité.
Les créateurs de la quarantaine sont très différents. Ils sont souvent proches de la crise du mitan et sont pour beaucoup d’entre eux à la recherche de congruence avec leurs valeurs. Ils ressentent comme le dit Hudson, l’impérieuse nécessité « d’y arriver » vis-à-vis de leur création. Ils sont beaucoup plus réfléchis, prudents et ce à juste titre puisqu’ils sont majoritairement en charge de familles… Ce qui me frappe dans cette tranche d’âge, c’est leur besoin de se réaliser, de donner vie à une idée, un concept, mais à condition que cela ait un sens. C’est-à-dire qu’il s’agit de respecter des valeurs, des principes et de créer pour suivre un objectif de développement et réalisation de soi, et non simplement pour faire un coup marketing et financier. Je dois donc les aider à trouver cette cohérence entre leur personnalité et leurs aspirations profondes, les aider à dépasser et vaincre leurs appréhensions pour se lancer dans l’aventure. Ils se sentent aussi particulièrement responsables : responsables de leur développement personnel, responsables de leur famille, responsables dans la cité et le monde. Cette responsabilité est parfois difficile à porter et la création d’une entreprise ne fait généralement que la renforcer. D’où la nécessité de bien travailler avec eux leurs motivations et freins face à la création de leur entreprise et de les épauler jusqu’à temps qu’ils se sentent vraiment prêts.
A la cinquantaine, les créateurs que je rencontre sont beaucoup plus aguerris.
Ils ont de la bouteille, un solide carnet d’adresse et souvent même une expérience de gestion d’un centre de profit ou de management d’une entité. Ils viennent cependant pour certains vers la création d’entreprise, car ils n’ont pas réussi à retrouver du travail. Ils créent alors pour créer leur propre emploi. D’autres ont envie d’expérimenter leur bagage professionnel en reprenant une entreprise.
C’est alors un travail de sécurisation de leur parcours qu’il faut réaliser de manière à ce qu’ils trouvent la bonne entreprise et qu’ils vivent en douceur le passage du statut de salarié à celui de repreneur et de chef d’entreprise. Je ressens généralement moins d’angoisse chez les créateurs autour de la cinquantaine. Ils recherchent aussi dans leur création le moyen de se faire plaisir, car ils estiment qu’ils l’ont bien mérité et que le salariat ne leur a pas donné toute satisfaction. Ils sont en donc exigeants pour leur propre entreprise et recherchent un accompagnement très pragmatique et « terrain » de ma part.
Enfin les créateurs autour de la soixantaine sont souvent des personnes qui ont ressenti un manque, une faim professionnelle non assouvie. Ils n’envisagent pas une seconde d’arrêter de travailler et décident alors à l’approche de la retraite, de créer quelque chose, bien souvent dans l’idée de laisser une trace et/ou un héritage pour leurs enfants. Travailler avec ces créateurs est très gratifiant, car ils ont accumulé une grande sagesse et maturité, prennent les petits tracas et contretemps de la création d’entreprise avec beaucoup de recul et d’humour. Il s’agit alors simplement de bien baliser leur parcours de leur création ou reprise et surtout de travailler la notion de l’après : la future cession ou transmission de leur entreprise. J’apprends beaucoup à leur contact et ce sont des accompagnements très agréables à mener où les résultats sont vite obtenus.
Ainsi à chaque tranche d’âge correspond effectivement bien un certain profil de créateur et ma pratique au quotidien me démontre que je ne peux occulter dans mes accompagnements le paramètre de l’âge et des préoccupations qui vont avec. Mon grand plaisir est donc de rencontrer des créateurs et créatrices de tous les âges et d’apprendre à leur contact ces mille et une petites choses de la vie, qui font qu’une complicité se tisse toujours avec eux, bien au-delà de la simple technique liée à la création d’une entreprise.