Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier
C’était un des chouchous des investisseurs allemands, particuliers comme professionnels. L’allemand Wirecard, jusqu’alors star de la fintech européenne, rentre aujourd’hui dans le club, moins fermé qu’il le devrait, des scandales financiers de grande ampleur. L’action a perdu la quasi-totalité de sa valeur en une semaine. Directeur général arrêté, comptes truqués, un trou de près de 2 milliards d’euros (correspondant à une décennie de bénéfices publiés), faillite probable : l’affaire Wirecard offre plusieurs leçons pour le petit actionnaire.
1.Bravo aux journalistes d’investigation du quotidien Financial Times qui, dès 2015 (après de premiers soupçons remontant à 2008 !), avaient révélé des anomalies dans la gouvernance et les comptes du groupe. Ils ont intensifié leur campagne depuis lors avec un certain courage. Une information indépendante de qualité, serait-elle payante, peut éviter des déboires financiers à l’investisseur, même si un certain temps est parfois nécessaire pour faire éclater la « vérité » au grand jour.
2.Le gendarme boursier allemand (BaFin) a continué jusqu’à il y a peu à soutenir Wirecard contre les soupçons de malversations. L’investisseur n’a pas été protégé comme il aurait dû l’être. La place de Francfort était-elle trop fière de sa pépite capable de tenir la dragée haute aux fleurons technologiques américains ? La BaFin devra répondre de son aveuglement, de même que les auditeurs des comptes, les agences de notation et certains analystes financiers. Une récente comparaison avec le gendarme boursier américain est cuisante. Lorsque Hertz, géant mondial de la voiture de location risquant également la faillite, a imaginé tabler sur l’intérêt (réel) d’investisseurs particuliers pour lancer une émission de nouvelles actions tout en précisant dans le prospectus de l’opération que ces actions ne valaient probablement rien, la SEC a lancé une enquête à son encontre, jugeant que certains investisseurs ne s’informeraient pas correctement avant d’agir, et a fini par le faire renoncer.
3.La BaFin, toujours elle, est même allée jusqu’à interdire pour un temps les ventes à découvert (consistant à miser à la baisse) sur l’action, criant au complot mené pour nuire à Wirecard. Souvent caricaturée comme étant de la pure spéculation, cette pratique joue pourtant aussi un rôle pour freiner des hausses indues de cours et ainsi aider à la formation de prix plus conformes à la réalité.
4.La fraude est massive : le groupe a menti, sans doute sur plusieurs années, sur ses bénéfices, ses liquidités générées (cash flows) mais aussi sur ses chiffres d’affaires. A un moment où les entreprises technologiques sont plébiscitées en Bourse et sont souvent valorisées sur la base de leurs revenus (en l’absence de bénéfices substantiels), il est à craindre que ce ne soit pas un cas isolé. Attention donc à ne pas vous laisser griser par des croissances qui relèveraient in fine du mirage.
5.Enfin, faire partie, comme Wirecard, des premières capitalisations boursières (indice DAX 30) d’un pays comme l’Allemagne, réputé pour le sérieux de son système économique, n’est pas une garantie à toute épreuve. Limitez votre exposition aux actions individuelles et prenez soin de diversifier.
Une conclusion ?
Chaque scandale financier de ce type (rappelez-vous de Enron, Parmalat, …) s’accompagne de la même incrédulité : « Mais comment une telle aberration a-t-elle pu se produire ? ». Le plus souvent, et c’est sans doute aussi l’explication dans ce cas, la réponse réside dans les fortes motivations qu’avaient les uns et les autres (à la notable exception des enquêteurs du FT et de quelques vendeurs à découvert) de croire en cette illusoire success story. Les informations négatives étaient ignorées ou tournées en ridicule tandis que tout signal plus rassurant, émis officiellement par la direction du groupe, s’accompagnait d’une hausse du cours de l’action. Epargnez, oui ; investissez, assurément ; mais n’abandonnez jamais votre lucidité et votre esprit critique, quitte à aller à l’encontre du discours dominant !