Par Gilles Martin (chroniqueur exclusif) – Président fondateur de PMP et fondateur de Youmeo
Dans le monde de l’immédiateté, on n’est pas souvent dans le temps long ( http://gillesmartin.blogs.com/zone_franche/2013/12/temps-long-.html ). Même si certains trouvent des occasions de marquer l’histoire en l’évoquant, comme le général Napoléon Bonaparte, le 21 juillet 1798, s’adressant à ses officiers lors la campagne d’Egypte, au pied des pyramides de Gizeh : « Du haut de ses pyramides, quarante siècles vous observent ». Même si cette campagne finira en déroute avec la bataille d’Aboukir, en août, et la victoire de l’Amiral Nelson.
Alors retrouver une fresque qui entend en 500 pages brasser l’histoire complète de l’humanité, c’est forcément attirant. Les lecteurs ne s’y sont pas trompés, faisant de « Sapiens », de Yuval Noah Harari un succès mondial d’édition (au moins huit millions d’exemplaires vendus dans le monde dans toutes les langues). Difficile d’y échapper. Le livre est un peu volumineux, et on le porte plus facilement sous le bras que dans son sac. Incroyable le nombre de personnes qui m’ont abordé dans les rues, les transports en communs, avec cet air entendu de ceux qui appartiennent à la même secte : « Oui, moi aussi je l’ai lu. J’ai adoré ». Parfois juste un pouce qui se lève, ou un clin d’œil pour dire qu’on en est. Etrange impression. Et parfois on engage même la conversation. L’histoire de l’humanité ça nous rapproche.
Les cinq cents dernières années, c’est l’époque que Harari appelle « la révolution scientifique ». Cette révolution en sera vraiment une, car pendant cette période, tout va changer vraiment. Nous étions 500 millions d’Homo sapiens en 1500. Et nous voilà maintenant 7 milliards. La valeur des biens et services produits par l’espèce humaine en 1500 est de 250 milliards de dollars actuels ; Aujourd’hui une année de production humaine c’est 60 billions de dollars.
Ce qui a changé, c’est que jusqu’en 1500, les traditions du savoir, les religions, considéraient que l’on savait déjà tout ce qu’il était important de savoir du monde. Pour savoir, il fallait se plonger dans les textes anciens, interroger les sages. Il n’était pas imaginable que la Bible ou le Coran aient pu passer à côté d’un secret crucial de l’univers, et en plus un secret que pourrait découvrir un simple mortel. Si un individu ignorait quelque chose d’important, il devait se tourner vers un sage. Il y en avait bien quelques-uns qui se disaient qu’il existait des choses importantes que la tradition ignorait, mais ceux-là finissaient persécutés.
La science moderne, c’est l’inverse : la Révolution scientifique c’est la révolution de l’ignorance. La grande découverte, c’est que les hommes ne connaissent pas les réponses à leurs questions les plus importantes. Et voilà comment s’est lancé une nouvelle croyance, comme une religion, dans la technologie et les méthodes de recherche scientifique, qui ont ainsi remplacé la croyance antérieure dans les vérités absolues. Et donc les modernes ont admis qu’il était nécessaire de rechercher des savoirs entièrement nouveaux. L’insuffisance du savoir ancien est tenue pour acquise, il faut donc aller chercher le nouveau. Les physiciens qui font des études aujourd’hui se donnent pour mission d’aller plus loin qu’Einstein.
Ce qui a changé aussi, c’est que, alors que les anciens formulaient leurs théories sous forme d’histoires, les modernes va recourir aux mathématiques. Et Harari montre bien comment les mathématiques et la science sont devenues la nouvelle religion. Mais la recherche scientifique ne se développe qu’en alliance avec une idéologie.
L’idéologie qui a permit à l’Occident de prendre l’avance, c’est la conquête impérialiste, la conquête du savoir et la conquête du territoire ont été de plus en plus liées. C’est d’ailleurs dans cette même campagne d’Egypte à l’issue si fatale que Napoléon emmène avec lui 165 savants qui vont foncer cette discipline nouvelle appelée l’égyptologie. Harari rappelle également cette expédition de la Marine anglaise, en 1831, pour cartographier les côtes de l’Amérique du Sud, les îles Malouines et les Galapagos pour renforcer l’emprise impériale de la Grande-Bretagne sur l’Amérique du Sud. Le capitaine emmène avec lui un jeune diplômé de Cambridge, 22 ans, qui va observer les espèces, les ossements, les végétaux. Son nom est dans l’histoire : Charles Darwin en tirera sa théorie de l’évolution.
C’est la mentalité moderne du « explorer et conquérir ».
Cette mentalité, qui démarre avec la reconnaissance de l’ignorance, qui se développe avec l’envie de conquête, ceux qui l’ont encore aujourd’hui continuent l’exploration et l’innovation. Mais l’ancien monde, avec ceux qui s’en tiennent aux certitudes et aux savoirs des sages et des experts n’ont peut-être pas tous disparus. Rien de tel que de lire cette « brève histoire de l’humanité » pour croire dans le futur.