Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier
A ma droite, les « marchés », cette masse, souvent présentée comme abstraite mais concrètement peuplée d’investisseurs principalement institutionnels (banques, assurances, fonds de pension, fonds de placements, etc.).
A ma gauche, les « politiques », ces décideurs, chefs d’Etat et gouvernements, tantôt de gauche, tantôt de droite, mais représentant largement l’idéal socio-démocrate tel que façonné après la seconde guerre mondiale.
Entre les deux, si pas une guerre de tranchées, au moins un net rafraîchissement des relations !
A l’origine de l’ambiance délétère qui s’installe, on trouve une belle entente qui tourne mal.
Marchés et politiques, entretenant depuis des décennies des rapports incestueux, ont d’abord marché de concert en créant et en entretenant une dette publique en croissance quasi permanente, issue de décisions budgétaires laxistes. Que cette légèreté provienne d’une carence de recettes (politique traditionnellement de droite, visant à réduire les impôts) ou d’un excès de dépenses (keynésianisme présenté comme de gauche), finalement peu importe. La baudruche gonflait, gonflait …
Et puis, en 2007/08, la finance a dysfonctionné du fait d’une prise excessive de risques. Mais les politiques ont leur part de responsabilités : ils ont notamment encouragé la formation de bulles immobilières et ont péché par leur incapacité à réguler le système.
Les rapports entre les complices d’hier se sont subitement tendus, avec l’instauration d’un rapport de force nettement plus marqué. Drapé dans une virginité factice, chaque compère a tenté de faire porter le chapeau de la crise à l’autre. Et le langage devint hostile avec, en France, « Mon adversaire, c’est la finance » d’un candidat de gauche et « Le marché qui a toujours raison, c’est fini » d’un candidat de droite tandis qu’une récente note d’analyse chez Chevreux était intiulée : «François Hollande and France’s labour-market rigidity : the market will rock both ». Des mesures furent prises par les détenteurs de la puissance publique : restrictions sur les bonus, menaces de séparation des banques d’affaires et des banques de détail, taxations diverses sur les transactions, etc. Une simple posture pour éviter le bilan critique d’un système politique ? Une dernière tentative pour rassurer des peuples anxieux de préserver un mode de vie qu’ils voient pourtant s’éloigner sans doute irrémédiablement ? Ignorant la morale, les marchés, eux, ont la froideur du calcul économique : « Votre dette est aujourd’hui trop importante : réformez vos structures et votre gouvernance ; sinon, vous paierez vos emprunts plus cher ». A mi-chemin entre une Europe du Nord, présentée comme bonne gestionnaire (même si les Pays-Bas risquent à présent de perdre le sacro-saint AAA) et une Europe du Sud, largement représentée sous les traits de la Cigale de Monsieur de La Fontaine, la France détient sans doute la clé de l’avenir européen. Dans ce contexte, le déni de réalité des candidats à son élection présidentielle, récemment pointé du doigt par un hebdomadaire anglo-saxon réputé, n’est pas de nature à calmer le jeu. Partie de Grèce et d’Irlande et ayant contaminé des pays comme l’Italie, l’Espagne et le Portugal, la crise aborde la France. Un trop gros morceau à sauver pour une Europe repliée sur ses égoïsmes nationaux. Contraintes par les Etats à se doper à la dette souveraine, risquant l’indigestion (et donc le déclenchement d’une nouvelle crise, sans doute plus grave que la précédente), les banques se rebiffent. Tout faire péter, et d’abord l’euro ? Peut-être pas. Mais forcer les gouvernements, et donc les populations, à l’austérité, ça oui, sans doute. Et de l’austérité de raison à la récession durable, il n’y a souvent qu’une marche sur laquelle peut trébucher la Bourse ! A moins que, sous la pression électorale, le futur chef de l’Etat français ne parvienne à enclencher une nouvelle dynamique de croissance en desserrant l’étau financier et l’inflexibilité budgétaire et monétaire allemande. Mais, plus encore que le volontarisme politique alors indispensable, ce projet se heurte à un écueil de taille : sans même parler des coups de boutoir de la mondialisation et du poids de cette étouffante dette, le potentiel de croissance économique est bien faible dans nos vieux pays occidentaux où tout un chacun (ou presque) a sa voiture, son frigidaire, son ordinateur et ses deux téléviseurs.
Ce n’est pas encore fichu. Mais pour faire mentir l’avis de tempête économique et boursière qui s’annonce, un éclair … de génie ne serait pas de trop !