Finance verte : le jeu des 7 erreurs

Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier

C’est une véritable déferlante. Dans la foulée, finalement assez logique, de la prise de conscience planétaire des enjeux climatiques, les acteurs de l’économie et la finance, notamment sous la pression de lobbys et d’activistes de la cause, ont entamé un processus d’auto-critique qui confine à l’auto-flagellation. C’est du moins la narration médiatique. C’est à qui sera le plus vertueux en matière environnementale, bien sûr, mais également sur les domaines voisins du social et de la bonne gouvernance. Ce que, opportunément, les observateurs regroupent sous l’appellation “économie/finance responsable ou durable”. Les Anglo-Saxons synthétisent le phénomène en 3 lettres : ESG pour Environnement, Social et Gouvernance.

Laissons ici de côté toute considération morale ou éthique. (Vous avez raison : c’est très confortable comme position !) Sur un plan financier, l’investisseur doit-il se réjouir ou se méfier de ce qui se passe ? Car de nouveaux produits de placement, estampillés ESG, voient le jour pour tenter de capter son épargne. Imaginons dès lors une campagne marketing centrée sur un produit d’investissement ESG. On y verrait un grand-père investisseur entouré, par exemple, de sa fille et de quelques petits-enfants, tous écoutant avec un bienveillant sourire aux lèvres, un professionnel de la finance (reconnaissable à ses lunettes et à son costume impeccable) qui leur montre sur un écran d’ordinateur portable un joli graphique agrémenté d’une courbe (verte, nécessairement) ascendante, symbolisant les futurs rendements mirifiques à attendre. Tous ces gens respirent la bonne santé, l’opulence et la joie de vivre. Sans oublier le sérieux pour ce qui est du financier. Et le cadre n’est pas un austère bureau de banque à La Défense mais un champ en pleine campagne, avec un petit ruisseau d’eau claire, des fleurs multicolores et des oiseaux gazouillant et virevoltant avec grâce.

Voilà pour la représentation idyllique (puisque publicitaire) de la chose. C’est le dessin de gauche. Jouons au jeu des 7 erreurs. Imaginons à présent le dessin de droite où 7 différences se seraient glissées, pour certaines avec la délicatesse d’un pachyderme dans un magasin de porcelaine. Il ne s’agit pas d’une confrontation “rêve-réalité” mais d’un recours à la caricature pour attirer l’attention sur certains dangers ou difficultés auxquels s’exposerait l’investisseur trop enthousiaste.

Erreur 1 : Commençons par ce que ma caricature a de plus … caricatural. L’investisseur, devenu “responsable”, sera-t-il en si bonne santé que cela ? Ou bien aura-t-il le bras en écharpe ou pire (et peut-être quelques petits-enfants de moins) ? Ce qui est actuellement engagé et envisagé par certains comme une mutation de la société peut-il s’arrêter à un verdissement (et un rougeoiement) des pratiques actuelles ? Ce n’est pas certain. Tout récemment, des activistes ultra-écologistes ont saccagé les bureaux parisiens de puissant gérant d’actifs américain Blackrock, dont le PDG est, ironie du sort, un partisan de plus en plus affirmé des critères ESG. Une suite de la polémique impliquant Blackrock dans le dossier de la réforme des retraites en France ? En partie sans doute. Mais, parmi les graffiti laissés en souvenir de leur turbulent passage, les militants ont écrit : « Le kérozène, c'est pas pour les avions, c'est pour brûler les flics et les patrons ». N’oublions pas que dans la finance verte, il y a d’abord le mot “finance”. Et que ce mot provoque dans certains milieux des réactions de plus en plus violentes. Intutile de paniquer à ce stade mais gardons les yeux ouverts.

Erreur 2 : Supposons que nous évitions la sanglante lutte de tous contre tous. Ce qui reste malgré tout le scénario le plus probable. Notre investisseur responsable aura-t-il pour autant sauvé la planète ? Pourra-t-il jouir, grâce à ses décisions d’investisseur, d’un climat agréable, de sources d’eau claire et du gazouillis d’oiseaux insouciants ? Sur ce point, mon avis sera plus tranché. Il n’est guère vraisemblable que se contenter d’aligner son comportement d’épargne sur des valeurs de principe change la donne. Refuser d’investir dans des compagnies aériennes ou dans des groupes pétroliers restera sans grande conséquence si les clients de ces entreprises leur restent fidèles. A cet égard, la balle est nettement plus dans le camp des consommateurs que des investisseurs.

Erreur 3 : Investir à la mode ESG sera-t-il aussi univoque que de choisir un graphique sur un écran d’ordinateur, serait-ce même avec l’aide d’un brillant conseiller financer ? Sans doute pas. Le principal problème est qu’il n’existe aucune méthodologie unanimement acceptée en la matière.  S’agit-il de se limiter aux entreprises dont les produits ou services ont un effet direct en matière environnementale ou sociale ? Ou bien un bon fonds ESG sera-t-il celui qui exclura a priori toutes les entreprises désignées comme néfastes à la cause ? Ou bien encore, s’agit-il d’appliquer un scoring à toutes les entreprises visant à déterminer celles qui font des efforts dans le bon sens et celles qui resteraient réfractaires ? Et d’ailleurs comment définir le mieux possible les critères E-S-G et selon quelle hiérachie ? On perçoit vite la complexité de la tâche. Et l’investisseur risque donc de ne pas pouvoir se faire une juste idée de ce que dans quoi il investit exactement.

Erreur 4 : Jusqu’à preuve du contraire, l’investisseur raisonnable est celui qui parvient à un bon équilibre (compte tenu de son profil) entre le rendement et le risque. On le sait depuis les premiers théoriciens de la finance, la maîtrise du risque passe par la diversification. Or, par définition, un investissement ESG réduit les possibilités de diversification, ce qui expose potentiellement l’investisseur à des phases de plus grande volatilité qu’il aurait pu le souhaiter. Par ailleurs, il est à craindre que les gérants de fonds ne voient dans l’actuel développement ESG qu’une nouvelle source de revenus via le retour des frais en tous genres, mis à mal dernièrement par la gestion indicielle (ETF). De tels frais, de l’ordre de 2 à 3% par an, obéreraient significativement les rendements à attendre de tels produits, surtout à une époque de taux faibles. Notre grand-père investisseur ne serait peut-être pas aussi serein que ce que la vision idyllique de l’investissement responsable le laisse paraître.

Erreur 5 : La courbe (verte) de la performance du placement ESG (hors frais) sera-t-elle aussi positive qu’espérée ? Là encore le doute est permis pour ceux qui prendraient aujourd’hui le train en marche. Car les actions estampillées ESG sont actuellement plutôt populaires et donc plutôt généreusement valorisées. Les études consacrées dernièrement à ce sujet ont en effet tendance à montrer une meilleure performance financière de ces actions. Est-ce un signe avant-coureur de la constitution d’une bulle (ayant vocation à finir par éclater) ou bien, comme d’aucuns le soulignent, n’est-ce qu’une correction justifiée venant sanctionner la meilleure qualité de ces actions ? Même si c’est la version optimiste qui est la bonne, reconnaissons qu’une telle correction est, par nature, “one shot”.  Donc, même hors frais, il n’est pas certain que notre famille censément satisfaite des investissements ESG du grand-père puisse se payer facilement une sortie à la campagne avec un conseiller financier à disposition.

Erreur 6 : Et, d’ailleurs, les vertus financières de l’ESG sont-elles si indiscutables, même sur une base historique récente ? Certains esprits grincheux attirent l’attention des investisseurs sur le fait que la bonne performance des fonds ESG tiendrait davantage au fait qu’ils sont largement constitués d’actions d’entreprises technologiques, considérées, peut-être un peu trop opportunément, comme plus vertueuses en matière ESG. Donc, vous croyez investir en actions ESG et en fait vous investissez en actions technologiques ? Ouille, le réveil pourrait être difficile si les généreuses valorisations actuelles des actions technologiques devaient se dégonfler … Une bonne raison de douter du sérieux du conseiller financier de la pub : enlevons-lui ses lunettes.

Erreur 7 : Imaginons, pour terminer, un fonds d’actions ESG qui aurait pris le soin de ne pas s’exposer exagérément à un secteur industriel particulier. Au-delà de l’attrait, au moins temporaire, des investisseurs pour ces actions (alimentant dans un premier temps leur hausse en Bourse), est-il raisonnable d’atteindre de bons bénéfices de telles entreprises ? Certains consommateurs, conscients des vertus de ces entreprises, se reporteront sans doute sur leurs offres au détriment d’une concurrence plus classique. Mais ces entreprises pourront-elles facilement répercuter sur leurs prix de vente les investissements nécessaires à verdir leurs productions ? En d’autres termes, ces entreprises ne vont-elles pas perdre in fine en rentabilité ? Et si c’est le cas, quel en sera l’impact à terme sur leurs cours boursiers ? Il ne sera sans doute pas très favorable … Décidément, notre conseiller financier ne pense pas à grand-chose : cette fois, c’est son costume impeccable qui est de trop !

L’engouement actuel pour les produits financiers estampillés ESG, même s’ils ne représentent encore qu’une petite partie des placements disponibles, est indubitable et parfaitement compréhensible. Il pourrait même perdurer un bon bout de temps. Repose-t-il pour autant sur des bases solides ? Rien n’est moins sûr, du moins pour celui qui, au-delà de toute considération éthique, espère en retirer de bons rendements. Comme souvent en Bourse, j’ai déjà eu l’occasion de vous en alerter sur d’autres sujets, ce qui semble trop évident l’est rarement.

Envie d’en savoir plus sur ce sujet (et sur d’autres ayant trait à l’investissement) ? Lisez régulièrement le compte twitter et le blog (notamment la note du 10 février) de l’excellent Philippe Maupas, un expert (dans le bon sens du terme) doublé d’un vulgarisateur de talent. C’est ici :   https://alphabetablog.com/

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