Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier
Intelligence artificielle … Depuis des décennies, sous la plume d’auteurs comme Isaac Asimov ou devant la caméra de cinéastes comme Spielberg, les robots ont peuplé notre imaginaire. Plus que jamais, ils ont aujourd’hui le vent en poupe. A l’origine cantonnés à des tâches basiques et répétitives en usines, ils investissent de plus en plus l’espace des professions intellectuelles à haute valeur ajoutée. A la fin 2013, une étude de deux chercheurs d’Oxford faisait grand bruit en affirmant que près de la moitié des emplois américains étaient à « haut risque » d’automatisation au cours des 20 années suivantes. La victoire d’un logiciel développé par une filiale de Google face au champion du monde du jeu de go a frappé dernièrement les esprits. Y compris dans sa composante de gestion de patrimoine, le domaine de la finance n’est évidemment pas épargné par le phénomène. Les « fintechs », ces petites entreprises innovantes utilisant le numérique, constitueraient même , selon certains, une menace pour les banques.
Qu’en penser ?A ce jour, le phénomène, quoique bien réel, doit être relativisé. Humains et logiciels continueront de coexister un bon bout de temps encore.
Tout d’abord, l’aide à l’investissement via des logiciels n’a rien de très neuf. La plupart des conseillers financiers utilisent ainsi depuis longtemps des programmes informatiques basés sur la recherche académique afin d’établir des portefeuilles-types. Une nouveauté cependant : par sa souplesse, Internet permet aujourd’hui une personnalisation plus fine des profils d’investisseur et donc des conseils mieux adaptés.
Ensuite, évitons la pensée magique. Certes, aujourd’hui, Internet permet l’accès à d’immenses bases de données économiques et financières traitées en temps réel. Mais croire que des algorithmes, aussi sophistiqués soient-ils , puissent prévoir l’évolution des marchés à court ou moyen terme, c’est une illusion. La complexité de l’économie mondialisée déjoue encore très souvent les pronostics. C’est pourquoi l’analyste (en chair et en os) reste utile pour contextualiser les résultats des modèles dans une perspective de plus long terme.
Enfin et surtout, s’il est vrai que la froide machine peut éviter à l’investisseur certains biais de comportement (excès de confiance ou panique selon les moments), encore faut-il que ce dernier adhère aux recommandations du logiciel. Souvent dépourvu de culture financière, l’investisseur doit comprendre à la fois ses besoins financiers (sont-ils réalistes ?) et le processus d’investissement. Pour expliquer et informer au mieux, ici encore, l’humain reste le meilleur choix.
Quant à savoir si les fintech vont détrôner les banques dans un proche avenir, je resterais dubitatif sur cette question. D’une part, à l’exception peut-être des plus jeunes d’entre eux, les Français et bon nombre d’Européens, malgré une opinion toujours dégradée depuis la crise du monde bancaire traditionnel, ne confieront pas facilement leurs données financières à des start-ups non bancaires. D’autre part, ne sous-estimons pas les banques. Naguère jugées conservatrices, elles réagissent de plus en plus à un contexte qui se fait menaçant (taux d’intérêt bas, concurrence numérique) : elles développent dès lors leur propre offre technologique et, pour les plus retardataires d’entre elles, elles n’hésiteront pas à recourir à des acquisitions pour se mettre à niveau.