« Petite chronique boursière  » – Gérer une équipe de hedge funds : les Anciens contre les Modernes

Vincent_colotPar Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier

Vous travaillez dans une entreprise dont l’activité a donné de sérieux signes d’essoufflement ces derniers temps ? Alors, je suis certain que vous comprendrez très bien cette histoire.

Dans un premier temps, le directeur général a été stigmatisé, partiellement ou totalement à raison d’ailleurs. Ou il n’a pas vu le ralentissement arriver, ou il a développé une stratégie qui n’a pas donné les fruits escomptés. Et si cette stratégie s’est avérée coûteuse, voire dangereuse pour l’équilibre financier de l’entreprise, certains membres du conseil d’administration s’en sont émus et ont préféré arrêter les frais. Au propre comme au figuré.

Exit le mauvais patron. En voici un autre, chargé de ramener la sérénité et de réorienter les efforts. Une de ses premières idées sera sans doute de diligenter un audit pour voir quelles sont les sources de sous-performance dans l’entreprise et quelles sont les solutions adoptées dans des entreprises concurrentes qui fonctionnent apparemment mieux.

Et c’est là qu’on rentre dans le dur, du moins pour les employés. Le diagnostic de cet audit est évidemment crucial. A l’instar d’une équipe de football, il n’y a pas que l’entraîneur à pointer du doigt en cas de mauvais résultats : il y a aussi les joueurs. Ceux qui sont chargés de faire tourner la boîte au quotidien sont-ils toujours suffisamment bien formés pour répondre aux défis du marché ? Si non, est-il opportun de les remettre à niveau ou bien les nouvelles aptitudes nécessaires sont tellement différentes qu’il est plus efficace d’engager de nouveaux profils ?

Voilà le genre de problématique qui agite actuellement les « hedge funds », ces fonds d’investissement dits spéculatifs qui n’hésitent pas à se démarquer des indices et à utiliser l’endettement pour tenter de doper leurs rendements. Le hic est que, dernièrement, les performances financières de ces Formules 1 de la Bourse laissent à désirer : leurs rendements, médiocres, ne compensent plus les frais, souvent élevés, réclamés à leurs clients investisseurs.

Outre les classiques changements d’effectifs à la tête de ces fonds, des solutions plus radicales et iconoclastes sont actuellement envisagées. Au premier rang de celles-ci, on trouve la mise en place, parfois de façon discrète dans des immeubles ou des locaux séparés, de nouvelles équipes de « geeks » informatiques en charge de mouliner dans tous les sens les énormes masses de données économiques, financières ou soci(ét)ales dont regorge internet. Le but de ces « quantitativistes » est bien entendu de dénicher, sinon des martingales magiques, du moins certains signaux susceptibles de générer des rendements. Il est vrai que certains algorithmes, constitués de cette manière, ont donné quelques résultats très positifs.

Il n’y a rien d’étonnant, en pareil cas, à ce que ces employés d’un genre nouveau (les Modernes) et les analystes/traders traditionnels (les Anciens) se regardent en chiens de faïence. Pour chacun des deux camps, ceux d’en face sont des incompétents qui ne comprennent rien au métier. Les Modernes désirent davantage de pouvoir pour imposer leurs solutions tandis que les Anciens, se sentant menacés, cherchent à leur mettre des bâtons dans les roues et ne les tolèrent que comme appui consultatif à leurs propres décisions. Pour ajouter à cette situation délétère, il convient ici de préciser que le plus souvent le management a péché par lâcheté en ne définissant pas les rôles de chacun, préférant laisser ce petit monde s’arranger entre eux.

Qu’en penser ?

Il semble évident que si les Anciens et les Modernes continuent de se quereller au sein des mêmes structures, il n’y a guère d’issue positive à espérer pour les futurs rendements des hedge funds. Il y a urgence à la signature d’un traité de paix. D’un côté, les Modernes doivent revenir à un peu d’humilité : il n’est guère probable que l’informatique constitue, avant des progrès très sensibles en intelligence artificielle (OK, cette dernière a tendance à galoper ces derniers mois), LA solution à des rendements miraculeux (réguliers et à deux chiffres, par exemple) en Bourse. Il reste, en particulier, très délicat de distinguer des effets de causalité de ceux qui ne relèvent que de la simple corrélation (non causale) entre deux séries d’indicateurs. Et ce qui a pu être discerné hier n’est peut-être plus valable de la même manière aujourd’hui et encore moins demain lorsque le contexte aura changé. Toute modélisation reste par ailleurs sujette à la qualité des inputs, surtout lorsqu’ils sont prévisionnels, un des maillons faibles de ce type d’approche. Mais, d’un autre côté, les Anciens doivent accepter que la complexité du monde économique et financier dépasse leurs capacités individuelles à envisager les scénarios possibles et leurs probabilités. Anciens et Modernes ne peuvent sans doute pas opérer, à ce stade, indépendamment les uns des autres. La maîtrise technologique des uns doit être filtrée par l’expérience de jugement des autres … et vice versa.

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