Il venait d’avoir 18 mois

Par Philippe Guihéneuc (chroniqueur exclusif) – Directeur Associé – Highburry

« Vous avez perdu au tiercé le dimanche, mangez du cheval le lundi », affichait placidement la boucherie en bas de chez moi, jusqu’à ce que la SPA y mette bon ordre. Dans l’attente d’un éventuel haro, permettez-moi d’afficher à mon tour : « Vous avez perdu un appel d’offre le vendredi, épousez le donneur d’ordre le samedi », et de vous faire l’article.

Vous êtes entrepreneur, de cette catégorie qui courtise assidûment les grandes organisations. Vous avez remarqué, car rien ne vous échappe, que la taille respective de votre entreprise et celle du donneur d’ordre vous incite à une certaine humilité. S’il advient que le Directeur des Achats de Renault ou d’Airbus vous laisse un message, vous ne manquerez pas de le rappeler dans la minute. En revanche, si vous parvenez à passer les barrages qui mènent au répondeur du grand homme et que vous y laissez une invitation à vous rappeler, il se peut bien que rien ne se passe. Telle est la différence entre votre petite entreprise et la grande organisation que vous courtisez. Ce n’est qu’une question de notoriété, de taille, de puissance financière, de poids historique, de valeur, d’impact social, des broutilles. Dans ces conditions, vous avez probablement le sentiment que vos interlocuteurs vous prennent de haut, qu’ils sont dans leur tour d’ivoire. Comme Pierre Desproges, la formule « Toutes les entreprises naissent et demeurent libres et égales en droit » vous fait doucement rire. Comment garder la tête haute face à un interlocuteur qui pèse cent fois plus lourd que vous ? Comment passer outre les caprices d’un client qui peut doubler votre chiffre d’affaires sans écorner son budget ?

Vous avez un merveilleux avantage : votre interlocuteur vous envie.

L’envie est une constante universelle, particulièrement en France où l’insatisfaction est culturelle. Chacun de nous aimerait être à la place de l’autre. L’autre travaille moins et gagne mieux sa vie. Ou bien encore il fait des choses formidables, qui suscitent l’admiration. Quand on n’envie pas l’autre pour ce qu’il est, on désire ce qu’il a : sa femme, sa voiture, sa famille, sa maison… son entreprise. Ainsi donc, soyez certains que votre acheteur vous envie. Et il a de bonnes raisons. Comme il voudrait sortir du rôle qui est le sien ! Il y a le patron stressant, les règles internes étouffantes, le collaborateur indocile, les résultats à atteindre, la discussion de fin d’année, le litige sur la note de frais. Votre interlocuteur aimerait être à votre place, avoir monté sa boîte, prendre des risques, vivre la bohème. Il envie votre envie d’entreprendre. Quand il vous voit vous asseoir en face de lui, il pourrait presque chantonner « Il venait d’avoir 18 mois… ». N’avez-vous jamais remarqué chez vos grands interlocuteurs une tendance, quand vous entrez dans leur bureau, à remettre de l’ordre, non pas dans leurs cheveux, mais à leurs papiers ?

Rapporté au monde sportif, la relation entre le petit vendeur et le grand acheteur tient moins du duel de deux tennismen de force inégale que de la confrontation entre le lanceur et le batteur de niveau similaire dans un match de baseball. Ils n’ont pas les mêmes moyens, ni les mêmes objectifs, pourtant ils se font face. Vous, entrepreneur, êtes le batteur. Votre but est de marquer des points (vendre). Voici trois tactiques pour illustrer cette analogie :

Intimidez le lanceur. Le batteur commence par travailler psychologiquement son adversaire. Les équipes de baseball japonaises engagent souvent des batteurs américains, terrifiants géants aux mâchoires proéminentes qui poussent des grognements sauvages au moment où leur adversaire nippon, à la morphologie bien fragile, envisage de lancer la balle. L’effet est saisissant sur un écran. Il doit l’être bien davantage pour le malheureux pitcher. L’action psychologique de l’entrepreneur vis-à-vis de la grande entreprise n’est pas moins importante. Elle consiste à gagner en notoriété, à prendre du volume, de la crédibilité, bien avant le premier contact. Les grandes entreprises achètent au moins autant un leadership qu’une solution.

Observez son lancer. L’observation du geste de son adversaire est une autre clé de la réussite du batteur. De même, l’entrepreneur que vous êtes ne devrait pas envisager un rdv avec une grande entreprise, sans avoir soigneusement étudié l’acheteur qui lui fait face. Consultez tous les articles disponibles sur le Net, sur la société, mais aussi sur le décideur lui-même : vous apprendrez peut-être qu’il fait collection de rouages métalliques – et ça tombe bien, vous en avez plusieurs à la maison. Interrogez vos partenaires, certains ont peut-être été en relation avec l’acheteur. Le cas échéant, mandatez une société de veille économique comme Horus Management, capable de vous livrer une infographie exhaustive sur l’entreprise, ses enjeux, ses problématiques, la position du service ou de la Division qui vous intéresse, son histoire, le parcours du dirigeant etc.

Préférez le knukle au fastball. Autrement dit : travaillez la balle, le discours, les arguments. Si vous êtes parvenus à passer tous les barrages, ne gâchez pas vos chances en plaçant devant votre interlocuteur une jeune recrue incapable de tenir un discours cohérent, qui répond à côté ou débine sornettes sur sottises. Votre acheteur, lui, a parfaitement le droit d’être totalement incompétent. Ce n’est pas grave, puisqu’il lance la balle. Vous, en revanche, vous avez une obligation d’efficacité, sinon c’est le strike-out. Face à l’acheteur, disposez votre meilleure ressource et faites lui soigneusement préparer l’entretien.

La relation que vous engagez avec la grande entreprise est un jeu tournant. Comme au baseball où l’équipe qui défend se retrouve ensuite à l’attaque, l’acheteur sait en vous écoutant que, si vous parvenez à le persuader, il se trouvera nécessairement dans la position de justifier ses choix en interne. Autrement dit, il deviendra vendeur de votre projet auprès de sa propre entreprise. La relation qui se crée entre vous dépasse donc largement le simple contrat d’affaires. Vous lui demandez de s’engager personnellement. En tant qu’entrepreneur, vous lui proposez une association, un couple professionnel. Vous ne lui offrez pas seulement une solution, vous lui apportez un bout de votre aventure. Vous venez d’avoir dix huit mois, c’est le plus bel argument de votre victoire.

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