Incertitudes, rumeurs et fausses informations

Vincent_colot Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier

Sur les marchés, l’ambiance est délétère. Alors que la volatilité des cours retrouve des sommets sur fond de tendance baissière, ce qui chagrine sans doute le plus les investisseurs, c’est la perte de leurs repères. Comment encore pouvoir évaluer les risques dans un contexte inédit où les incertitudes règnent ? Et alors même que les estimations de bénéfices futurs s’avèrent désormais très aléatoires, y compris à court terme, des indicateurs traditionnellement plus stables, comme la valeur comptable des fonds propres (« book value »), perdent également de leur pertinence. Est-il notamment possible de se baser sur la valeur comptable des fonds propres des banques sans connaître précisément ni leur exposition aux dettes souveraines (et la valeur exacte à laquelle celles-ci sont valorisées dans leurs comptes) ni leurs éventuels besoins de recapitalisation ? Par ailleurs, si les difficultés économiques perdurent à long terme, que valent encore les « écarts d’acquisition », ces suppléments de prix concédés lors de rachats d’autres entreprises dans un contexte économique antérieur plus favorable ?

Les terrains d’action (de jeu ?) des investisseurs s’apparentent de plus en plus à des sables mouvants, où toute « vérité » se dérobe d’un jour à l’autre. Se met alors en place un mécanisme pernicieux où la rumeur alimente la volatilité qui, a son tour, en tant que catalyseur de toutes les angoisses, nourrit la rumeur suivante. Et la rapidité des médias modernes (Internet, …) est alors un facteur aggravant. Durant l’été, l’épisode du décrochage boursier de l’action Société Générale est, à cet égard, particulièrement édifiant. Pour rappel, une information publiée par un quotidien britannique « The Daily Mail » faisait état de la faillite imminente de la banque française du fait de son exposition à la Grèce. En quelques heures, le cours de l’action décrochait de près de 15%. Et cela, malgré le démenti rapide du journal (qui se serait laissé abuser par une fiction du journal Le Monde) et malgré l’absence d’informations similaires publiées ailleurs. [Ironie du sort, quelques semaines plus tard, la Société Générale, tout comme d’autres banques, se faisait effectivement rattraper par le dossier grec, sans toutefois qu’il soit alors question d’une faillite imminente…].

Dès lors, la qualité des sources d’informations devient primordiale. Même si l’interprétation des informations restera, sans doute pour un bon bout de temps encore, délicate dans le contexte durablement trouble de la crise, l’investisseur est en droit de revendiquer une information non biaisée. Mais là aussi, le bât blesse. Qui peut contester le sérieux des deux plus grands quotidiens financiers de la planète, à savoir le Wall Street Journal et le Financial Times ? Pour en faire une revue de presse tous les matins depuis plus de 6 ans (que vous pouvez retrouver quotidiennement et gratuitement ici : http://actufinance.typepad.com/weblog), je peux témoigner de la rigueur et du professionnalisme des journalistes de ces deux institutions de la presse économique. En règle générale, la qualité éditoriale de ces journaux dépasse largement ce qu’il est possible de lire dans l’Hexagone … Il n’empêche ! Un fait troublant a attiré mon attention au début du mois d’août. A priori, la publication des résultats semestriels du géant de l’agro-alimentaire suisse Nestlé ne s’annonçait guère affriolante. Et elle ne le fut pas, le groupe helvétique ne décevant pas les investisseurs. Mais ce qui fut publié le jour suivant dans les deux quotidiens (dans le cadre de leurs deux rubriques très appréciées des lecteurs, à savoir le « Lex » pour le FT et le « Heard on the Street » pour le WSJ) n’en était pas moins entaché d’erreurs. Le Financial Times exhortait ainsi le groupe à stopper sa politique de rachats d’actions au profit d’acquisitions ciblées tant que le franc suisse resterait à des niveaux élevés tandis que le WSJ attribuait le déclin bénéficiaire de 8,5% majoritairement à ce même franc suisse trop cher. Or, quelle était la réalité relativement à ces deux informations ? D’un côté, Nestlé avait effectivement annoncé qu’il stoppait ses rachats d’actions ; et, d’un autre côté, la baisse bénéficiaire provenait, pour sa plus grosse part, de la vente entre-temps d’une activité ophtalmologique (Alcon). Des erreurs mineures ? Certes ! Mais, alors que les informations divulguées par Nestlé étaient très claires sur ces deux points, ce sont des erreurs qui laissent planer un doute sur ce qui peut être lu ailleurs dans les deux journaux. Et ne parlons même pas des autres journaux réputés moins sérieux.

Dans des périodes politiquement et économiquement incertaines, les informations peuvent être de qualité inégale. Bien sûr, l’information peut revêtir les attributs d’une arme dans les mains de manipulateurs sans scrupules : à cet égard, on ne saura sans doute jamais toute la vérité sur l’affaire estivale de la Société Générale. Mais, plus généralement, les journalistes sont acculés à réagir au plus vite et au mieux à une actualité qui ne laisse guère de répit, ce qui offre du champ libre à certaines erreurs et autres approximations.

L’investisseur sera donc particulièrement vigilant. Il prendra soin de ne baser aucune décision d’investissement dans l’urgence sur la foi d’une seule information, surtout si elle revêt le caractère d’une rumeur. Il cherchera à recouper cette information avec d’autres canaux et à se rapprocher idéalement au plus près de la source première de cette information : dans le cas de Nestlé, le site officiel du groupe permet à tout un chacun de consulter le communiqué de presse relatif aux résultats semestriels. Encore faut-il consacrer un peu de son précieux temps à cette salutaire activité !        

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