Incompétence habile

Gilles MartinPar Gilles Martin (chroniqueur exclusif) – Président-Fondateur du cabinet de conseil en stratégie et management PMP et co-fondateur de Youmeo un innovation Lab et conseil en innovation

C’est un concept évoqué par Chris Argyris dans un article devenu un classique de HBR : l’incompétence habile (skilled incompetence). Je le retrouve dans le livre de Marylène Delbourg-Delphis, « Tout le monde veut aimer son travail », car c’est le genre de mal qui sévit encore dans les entreprises aujourd’hui.

De quoi s’agit-il ?

Cela correspond à un talent (skill) développé par les managers et collaborateurs qui leur permet de n’avoir pas à faire (incompetence). Ce sont des managers qui ont bien intégré le vocabulaire de l’entreprise, et savent parler agréablement, mais ne prennent aucune décision. Ils adorent les réunions, surtout celles où ça discute en pesant les sujets, et où l’on conclue que « peut-être que oui, peut-être que non », sans surtout rien décider de clivant. Personne ne veut y froisser personne, et on échange des mots polis et des phrases convenues.

En clair, ce sont des managers qui ne font presque rien. Ils ont développé une forme d’incompétence générale, qui leur permet de subsister en protégeant leurs arrières de manière habile.

Le fait d’être d’accord avec tout le monde et d’éviter tout conflit avec habileté, peut être précisément la cause, si cette attitude est adoptée par nombreux managers, du développement d’un chaos général. Pour ne gêner personne les managers vont envoyer en permanence des messages ambigus genre « soyez innovants et prenez des risques, mais soyez prudents », qui permet de dire «allez-y mais n’allez pas trop loin », sans bien préciser où se situe le « trop loin », laissant ainsi les collaborateurs dans l’expectative. Ils ont bien compris ce système de management par l’ambiguïté et l’imprécision, qui bloque finalement les initiatives, de peur « d’aller trop loin ». Les collaborateurs éviteront aussi de demander des précisions, de peur que cette demande soit interprétée comme un signe d’immaturité ou de manque d’expérience.

Cette méthode de communication ambiguë est une excellente façon pour éviter de traiter une situation de manière directe.

Autre moyen efficace : créer des « routines défensives », selon l’expression de Chris Argyris.

Cela correspond à des actions ou procédures qui permettent d’éviter toute surprise, embarras ou contrainte. Elles permettent aussi d’empêcher d’apprendre, et donc d’éviter de se confronter aux moindres problèmes. Leur caractéristique est que la plupart des personnes de l’entreprise y adhèrent, ce qui fait que quelles que soient les arrivées ou les départs de l’entreprise, elles perdurent.

Alors, peut-on se tirer d’une telle situation ?

Le secret, tel qu’exprimé par Chris Argyris, et repris par Marylène Delbourg-Delphis, c’est d’être capable de transformer l’entreprise pour qu’elle devienne une « université vivante capable de stimuler chez chacun un désir d’apprendre et d’étoffer son potentiel ».

Ainsi, si les employés se développent personnellement dans l’organisation, ils contribueront à la construction continue de sa culture et à la diversification de son « patrimoine intellectuel ».

C’est ce qui permettra de produire la néguentropie qui permet à l’entreprise de prospérer. La néguentropie ou entropie négative, est un concept philosophique et n'a pas de base scientifique. Elle se définit comme un facteur d'organisation des systèmes physiques, biologiques, et éventuellement sociaux et humains, qui s'oppose à la tendance naturelle à la désorganisation : l'entropie.

Il s’agit de donner la liberté pour horizontaliser la structure organisationnelle, et lutter contre les phénomènes de bureaucratisation. Il sera aussi nécessaire de désapprendre pour mieux apprendre, et chasser les comportements de routines défensives, en se parlant vrai.

Cela ne se fait pas en un jour, et certaines entreprises n’y parviennent jamais.

Raison de plus pour se poser les questions dans tout programme de changement ou de transformation, évitant ainsi de nous aveugler sur la « résistance au changement » sans en percevoir les causes profondes.

Voila de quoi prendre de bonnes résolutions pour 2019, à l’heure où les programmes de transformation, poussés par le développement des nouvelles technologies, vont proliférer.

Bonne année 2019 !

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