Innovons ! … Innovons ?

Vincent_colotPar Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier

Si, tout comme moi, vous êtes un lecteur assidu de la newsletter vespérale de nos amis de Time To Sign Off (TTSO), l’info n’a pas dû vous échapper il y a quelques jours. En 2008, alors que Airbnb, le géant de l’hébergement collaboratif, était en phase de lancement, aucun des 7 « venture capitalists » contactés  par les fondateurs pour un financement pourtant réduit de 150000 USD (soit une participation, à l’époque, de 10% du capital) n’avait répondu par l’affirmative. Lorsque l’on sait qu’aujourd’hui, le groupe est valorisé à quelque 25 milliards USD, l’erreur de jugement, de ceux dont c’est pourtant le métier, est lourde.

Malgré la crise que traverse à l’échelle mondiale le capitalisme depuis le krach financier de 2008/9, le modèle schumpétérien de « destruction créatrice » garde toutes ses lettres de noblesse. Le neuf chasse le vieux et fait avancer la machine créatrice de richesses.

Dès lors, à l’aube d’une année 2016 une fois encore annoncée par le FMI comme économiquement difficile, investir dans des entreprises innovantes semble la solution logique pour tout qui espère du rendement à moyen et long terme.

Un récent fonds américain de la famille des ETF (trackers ou fonds indicés), dénommé Ark Innovation, investissant dans des entreprises fortement innovantes, serait à cet égard le véhicule tout désigné.

Sauf que …

Sauf que investir dans l’innovation est chose plus difficile qu’il n’y paraît. La mésaventure des 7 venture capitalists concernant Airbnb est là pour nous le rappeler. Sans doute mais, en tant que ETF, Ark Innovation ne permet-il pas de réduire de telles erreurs d’appréciation ? Pas vraiment car ce fonds n’est en réalité pas un fonds indicé. Et d’ailleurs comment constituer un indice indiscutable d’entreprises innovantes ? En réalité, il s’agit d’un fond géré activement par une petite équipe d’analystes. L’objectif ? Rechercher des entreprises cotées en Bourse, principalement américaines, « disruptives » c.-à-d. capables de redéfinir les règles du jeu de leurs secteurs respectifs (par exemple, Tesla pour l’automobile ou encore Netflix pour les médias audiovisuels – Airbnb n’est toujours pas cotée).

Plusieurs faiblesses apparaissent assez rapidement.

D’abord, n’étant liée à aucun indice, cette sélection de titres (actuellement une cinquantaine, dont la divulgation est quotidienne sur le site internet ark-funds.com) est donc subjective. Rien ne dit que les futurs « disrupteurs » les plus notables sont repris dans cette liste.

Ensuite, pour investir dans des entreprises innovantes, le timing est important. S’il était sans doute approprié de prendre un risque sur Airbnb en 2008, serait-il encore conseillé de le faire en 2016 à une valorisation de 25 milliards USD ? Or, Ark Innovation garde des actions comme Tesla, Netflix ou Amazon dont le potentiel de disruption est bien connu de tous et donc, sans doute, bien pris en compte dans le cours de leurs actions.

Enfin, et dans la lignée du point précédent, l’évaluation des actions est, en règle générale, peu ou pas du tout prise en compte par les analystes. Plus ils sont convaincus de l’avenir radieux d’une entreprise, plus ils y investissent, quel que soit le cours de l’action.

Ces analystes n’ayant à leur disposition aucune boule de cristal infaillible, ce n’est guère une stratégie porteuse, selon nous. Il est en effet probable que seule une faible proportion des entreprises en portefeuille (et pas nécessairement les mieux représentées) parviendront effectivement à changer la donne de leur secteur dans de bonnes conditions de rentabilité et, noyées dans une cinquantaine d’entreprises dont vraisemblablement plusieurs candidats à la faillite, rien ne dit qu’elles permettront d’élever, sur quelques années, la performance du fonds au-delà de celle d’un indice classique, le S&P 500 par exemple. Entretemps, l’investisseur aura sans doute eu à subir une assez forte volatilité. Forte volatilité et rendement moyen ne constituent pas une recette gagnante. En aucun cas, un tel fonds ne doit représenter une part prépondérante de vos avoirs. Encore mieux : passez votre chemin.