Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier
Ceux parmi vous qui ont vu le splendide film « Amadeus » de Milos Forman (1984) se souviennent probablement de la rencontre entre Mozart et l’empereur d’Autriche Joseph II à une répétition de l’opéra « L’Enlèvement au Sérail ». Le premier, anxieux de connaître l’appréciation du suzerain sur son œuvre, se trouva choqué de l’entendre lui dire : « Trop de notes, mon cher Mozart ».
Dans un tout autre domaine, 235 ans plus tard, l’expert financier qui jetterait un œil sur les comptes bancaires de Mme Michu ou M. Dupont ne trouverait sans doute d’emblée pas d’autre remarque que celle-ci : « Trop de cash ».
C’est aussi mon avis (et j’espère avoir davantage raison sur ce point que l’empereur en matière de goût musical, du moins si la postérité est un bon arbitre).
Si, comme chaque année, au début du mois de janvier, vous avez examiné à la loupe l’état de vos comptes bancaires, vous aurez probablement constaté que les liquidités occupent dans l’ensemble de vos avoirs financiers (épargne et placements) une proportion importante. Selon une étude comparative de 2015, cette proportion s’élevait alors à pas moins de 55% en moyenne en France. Si ce niveau est légèrement moindre que dans bon nombre de pays voisins (où il dépasse souvent les 2/3), il n’en demeure pas moins encore trop élevé.
Certes, cette propension à garder une majeure partie de ses avoirs en cash peut s’expliquer par la disponibilité de ce cash afin de financer, au moment le plus opportun pour chacun, un projet ou, plus simplement, un achat-plaisir. Mais elle peut aussi trouver son origine dans l’incertitude où beaucoup de personnes se trouvent en matière de perspectives économiques (et donc d’emplois, voire de retraites à plus ou moins long terme), dans cette crise majeure qui semble ne jamais devoir finir. Il n’y a pas que les entreprises qui rechignent à prendre des risques : les particuliers aussi.
Avoir une réserve de liquidités (l’équivalent de 6 à 12 mois de salaires) est évidemment une démarche raisonnable. Mais, à de tels niveaux de liquidités dans les comptes, cette prudence paraît exagérée, du moins pour celui qui appartient à la classe moyenne sans souci d’argent immédiat. Pourquoi ? D’abord, laisser « dormir » son argent sur un compte d’épargne en ces temps de taux très bas et de frais bancaires en hausse réduit le pouvoir d’achat : sous le coup d’une remontée des prix pétroliers, l’inflation refait en effet depuis quelques mois son apparition dans l’Hexagone et devrait s’installer plus nettement en 2017. Ensuite, le Français serait, en matière d’argent, négligent par méfiance, méconnaissance ou simple paresse : peu ou mal informé, il préfère souvent l’immobilisme, ayant toujours à l’esprit certaines pertes occasionnées lors d’épisodes précédents douloureux (la crise financière de 2008 ou encore l’éclatement de la bulle high tech au tournant du millénaire). Enfin, et d’autant plus si votre horizon de placement est long (10 ans par exemple), vous (oui, vous !) pouvez prétendre à un rendement nettement supérieur à ce que vous offre aujourd’hui le meilleur compte d’épargne disponible sur le marché. Et cela sans vous exposer à un risque inconsidéré. Bien entendu, il ne s’agit pas d’investir n’importe comment dans n’importe quoi. Mais si vous pouvez garder investie une partie de vos avoirs à un horizon de 10 ans, un portefeuille bien diversifié à l’échelle planétaire (en évitant autant que faire se peut les actifs les plus chers) peut encore vous rapporter (avant impôts) quelque 4 à 5% en moyenne par an. Bien entendu, l’avenir n’est pas écrit d’avance. Mais accepter une bonne probabilité d’obtenir du 4% plutôt que de rester collé à un taux d’épargne rikiki me semble parfaitement raisonnable.
Alors, n’hésitez plus : devenez un épargnant actif et investissez !