Par Gilles Martin (chroniqueur exclusif) – Président du cabinet de conseil en stratégie et management PMP
On vous le dit : c’est la crise !
Morosité, peur de l’avenir, tous les chiffres qui baissent…On est foutus ; vite, Etat, aide-nous !
C’est pourquoi il était rafraichissant cette semaine, pour moi, de rencontrer un patron heureux de ses 20% de croissance du chiffre d’affaires de son entreprise. Ce n’est pas un patron de start-up, non, son Groupe fait plus de 4 milliards d’euros de chiffres d’affaires, dont plus de la moitié en France.
Il égrène pour moi les marchés et commandes que son groupe a remportés, et comment il a devancé ses concurrents dans des compétitions souvent très rudes.
Alors, forcément, on en arrive à chercher le truc, le secret du dirigeant qui lui a permis une telle performance dans un monde en crise…
Bien sûr, il y a les réussites commerciales, la qualité des offres, le positionnement stratégique. Un gros investissement est fait sur l’écoute du client, la traque des tendances du secteur, via des enquêtes sur le terrain par des « trend scouters » et des « trend setters ».
Mais quand même, quand on a plus de 45 000 salariés dans le monde, le Président, lui, il fait quoi ?
« Ce qu’il faut », me dit-il, « c’est que les gens se sentent en capacité de faire des erreurs ». Et cela vient d’une qualité pas toujours facile à imprégner dans toute l’entreprise : la confiance.
Cette confiance, c’est d’abord de l’écoute. Ecouter, pas seulement les membres du comité de Direction, la garde rapprochée, mais écouter tout le monde et partout.
C’est donc en se rendant sur le terrain, en ouvrant le dialogue avec des petits groupes improvisés, que l’écoute se développe.
Ce Président aime à se rendre au service clients, et prendre lui-même le micro et les écouteurs pour traiter les demandes clients ; il a l’air d’en tirer beaucoup de plaisir. C’est d’ailleurs en s’intéressant aux problèmes des clients au centre d’appels qu’il a eu l’idée de changer les horaires d’ouverture, constatant un besoin avant l’heure d’ouverture initiale. Il a donc fait ouvrir plus tôt (en recherchant aussi les solutions innovantes pour rester dans les contraintes de coût et sociales). Il ne résiste pas à me confier que cette idée qu’il a eu, le directeur de la France ne l’avait pas eu, car il ne s’était jamais levé si tôt pour écouter les clients.
Il aime aussi, ce dynamique Président, se déplacer personnellement d’un coin du monde à l’autre, pour soutenir les équipes d’un projet important, et les accompagner dans les négociations et présentations orales.
Ecouter, c’est aussi apprendre les langues pour communiquer avec les employés autour du monde. Dans le comité de Direction de cette entreprise, les managers ont pour la plupart eu une carrière à l’étranger ; les échanges sont nombreux entre les différentes zones ; les équipes de Londres ont apporté leur support aux équipes d’Australie pour le développement. Pour manager le développement international du Groupe, il a embauché une femme qu’il a localisée à Londres. Car il croit aussi que le développement international doit se faire à partir des lieux géographiques divers ; et pas tout centralisé à Paris. La diversité, c’est aussi avoir parmi ses managers, des femmes et des hommes bien sûr, mais aussi des origines différentes.
L’écoute, c’est aussi la proximité avec les clients au quotidien. Ce Président est tout fier de me dire que les membres de son Directoire viennent tous, lui y compris, travailler en empruntant le métro ou le RER, pointant du doigt, sans les nommer, tous ceux, parmi ses concurrents, qui se cachent à l’arrière de leur voiture avec chauffeur.
L’écoute encore, par la solidarité et l’esprit d’équipe : « les collaborateurs se battent pour décrocher les contrats. Quand on perd, on pleure tous. Mais quand on gagne on fête tous ensemble. Il n’y a pas de mauvais camarades ».
Heureux rappel qu’il existe des solidarités naturelles dans notre société, que les individus ne sont pas mûs que par des sentiments égoïstes.
Ce souci de l’autre et des autres, qui permet la performance collective, est peut-être justement ce qui nous permettra de sortir de la crise. C’est la thèse du dernier ouvrage de Jeremy Rifkin, « une nouvelle conscience pour un monde en crise – vers une civilisation de l’empathie ». Il est convaincu, enquêtes et recherches à l’appui, que la conscience empathique a tendance à s’universaliser, notamment chez les jeunes, au moins dans les pays développés. On le constate dans les changements fondamentaux dans l’attitude des parents, et les conduites d’attachement, la diversification des personnes, des communautés et des cultures côtoyées, l’expansion de la connectivité planétaire, le cosmopolitisme des styles de vie.
Cette écoute des autres et des situations, clé d’une culture de la confiance, je la retrouvais dans le dialogue avec ce dirigeant. Pas besoin d’attendre les jeunes de demain pour la mettre en œuvre ; c’est possible aujourd’hui et maintenant.
Et si en plus, ça permet de sortir des taux de croissance de 20%, ça fait vraiment envie, non ?
Une façon de rappeler que le salut et le développement viennent de nos organisations, des entrepreneurs, des managers, de la confiance, de l’écoute, et non des sommets des chefs d’Etat, même à Cannes…