Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier
Après avoir culminé à près de 60 USD à la veille du dégonflement de la bulle internet (en 2000) puis aux alentours de 40 USD juste avant la crise financière (en 2007), l’action du groupe américain General Electric (GE) se négociait récemment à nouveau quelque 20 USD plus bas, à savoir autour de 20 USD, soit un bon tiers de moins qu’en début d’année 2017.
Mauvaises décisions stratégiques, manque de rigueur dans la gestion quotidienne, communication financière défaillante, perte de confiance des investisseurs … Cet ancien fleuron du capitalisme américain aux destinées duquel avait présidé le légendaire Jack Welch (de 1981 à 2001) n’est plus que l’ombre de lui-même. A quelques jours d’une mise au point stratégique promise par le management, examinons quelques-unes des leçons à tirer pour un investisseur de cette situation.
1 – Toute réputation, surtout lorsqu’elle est flatteuse, doit faire l’objet d’un contrôle régulier.
Certes, GE a longtemps bénéficié d’une solide réputation quant à la qualité de son management. En particulier, le groupe était favorablement cité pour sa capacité à dégager des synergies entre des activités industrielles pourtant disparates (énergie, santé, transport, etc.). Cette image est restée ancrée dans l’esprit de bon nombre d’investisseurs alors même qu’elle manque singulièrement de substance depuis déjà un bon moment. Ainsi, il y a 3 ans, alors que bon nombre d’analystes présentaient l’action comme « bon marché » (aux alentours de 26 USD), notamment sur la base de la somme des valeurs estimées des différentes activités du groupe, ils auraient été mieux inspirés de prendre en compte une « décote conglomérale » (en général de 10% à 15%), à savoir une pénalité de valorisation censée refléter la complexité à gérer un groupe diversifié et un déficit de visibilité pour les investisseurs. A cette aune, la bonne affaire avait disparu.
2 – Une grande entreprise, dont la valeur en Bourse s’élève à des dizaines, voire des centaines de milliards d’euros ou de dollars, comporte des risques pour l’investisseur.
Si l’investisseur est souvent conscient du risque qu’il prend à miser sur une petite capitalisation peu connue, il aurait tort de se sentir en sécurité en jetant son dévolu sur une des stars de la cote. A l’heure de la mondialisation des échanges, atteindre une taille critique est souvent considéré comme un atout. Mais le gigantisme n’empêche pas les erreurs de gestion et implique souvent un manque d’agilité préjudiciable lors des mutations de logiques industrielles ou commerciales. Et, ces dernières années, on a pu observer que les pratiques managériales « horizontales » étaient plus efficaces qu’une gestion hiérarchique verticale, encore souvent de mise dans les grands groupes.
3 – Quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup.
GE est régulièrement critiqué pour l’opacité de sa communication financière. Ainsi, celui qui aurait la curiosité de jeter un œil sur les chiffres publiés chaque trimestre se retrouverait confronté à pas moins de 4 bénéfices différents. Il est vrai que le groupe sort d’une période de modification de son périmètre d’activités (notamment arrêt d’une bonne part de ses activités financières), ce qui ne rend pas faciles les comparaisons d’une année à l’autre. Mais les choix opérés par le management pour inclure ou exclure tel ou tel élément de telle ou telle métrique bénéficiaire sont souvent très subjectifs, ce qui alimente la confusion. Ajoutons à cela une disparité sensible entre l’évolution des bénéfices et celle des liquidités (cash-flows), ce qui n’est jamais bon signe quant à la crédibilité bénéficiaire.
4 – La présence d’un actionnaire « activiste » n’est pas une garantie.
J’ai abordé ce point dans une de mes récentes chroniques. Lorsque l’activiste Nelson Peltz, via son fonds Trian, a pris une participation de 2,5 milliards de dollars dans le capital de GE en octobre 2015, beaucoup y ont vu le signe d’une prochaine amélioration du cours de l’action GE. Même si un actionnaire activiste est censé influencer la gestion d’un groupe dans l’intérêt des actionnaires, les résultats ne sont pas toujours au rendez-vous : le pouvoir d’un tel actionnaire n’a rien de magique (face à la réalité du monde) et n’est que partiel et ses recommandations ne sont pas nécessairement pertinentes.
5 – En Bourse, les fondamentaux comptent toujours.
Ces dernières années, de nombreux observateurs ont pointé l’action de création monétaire («assouplissement quantitatif ») des banques centrales comme étant à l’origine de l’envolée des cours boursiers. Si le phénomène a très certainement impacté la Bourse américaine et surtout les actions des grands indices (Dow, S&P 500), il ne faudrait pas en conclure que toutes les actions en ont profité de la même manière. Une entreprise, même emblématique comme GE, ne peut cacher sous le tapis ses difficultés.
6 – Les mouvements boursiers à court, voire très court, terme ne doivent pas être sur-interprétés.
A court terme, la Bourse n’est pas forcément rationnelle. Et, comme le dit l’adage, « le marché ne donne pas d’interview » pour expliquer son comportement. Attention dès lors à ne pas tirer de conclusions hâtives d’une variation de cours. Ainsi, lors de la publication des chiffres (décevants) du troisième trimestre de GE le 20 octobre dernier, le cours de l’action a d’abord ouvert en forte baisse (-6%) avant de se redresser tout au long de la séance et même terminer avec un léger gain (+1%). Etait-ce le signe que les investisseurs anticipaient des mesures énergiques de la part du management pour tenter de redresser la barre ? Si ce fut le cas, cela ne dura pas très longtemps. Car les séances suivantes furent placées sous le signe du pessimisme, l’action reperdant plus de 15% en quelques jours.
Et la suite ? Elle n’est certainement pas écrite à l’avance. Ce lundi 13 novembre, l’équipe dirigeante de GE communiquera à nouveau avec les investisseurs sur les grandes orientations stratégiques du groupe. Il est probable que le cours de l’action, à cette occasion, sera une nouvelle fois fébrile. Interdiction au management de décevoir les actionnaires ! Mais dans les affaires, comme en politique, il y a les paroles et les actes : une stratégie d’entreprise, même si elle est bien pensée, n’est rien si elle n’est pas correctement mise en place. Et dans la situation délicate où se trouve GE sur plusieurs de ses activités, rien ne sera facile.