Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier
Les récents débats à propos des “fake news” qui ont agité ces derniers mois le landerneau politique jusque dans les travées de l’Assemblée Nationale auront eu le mérite de (re)mettre un coup de projecteur sur une idée simple mais puissante. Quelle que soit la transparence des outils modernes de communication, ou peut-être à cause d’elle, il n’a jamais été aussi facile de tromper son petit monde en agitant des idées farfelues et en flattant les émotions.
Se cacher derrière un jargon ou des formules simplificatrices pour asséner le contraire de la réalité, ce qui est à la base de la “novlangue” inventée par le génial Orwell dans son roman “1984”, est également, constatons-le, un des sports favoris de nos amis financiers. Et, j’ajouterai, la complicité plus ou moins consciente de la presse spécialisée n’arrange en rien les affaires des investisseurs en quête d’informations non biaisées.
On le sait, les introductions en Bourse constituent un des cas les plus évidents et les plus emblématiques de cette manipulation du réel. Lors de leurs “roadshows” destinés à convaincre les investisseurs de souscrire, les responsables d’entreprise ne cessent d’en appeler à un avenir (évidemment) radieux : la rentabilité est (ou sera très bientôt) remarquable, les liquidités dégagées permettent (ou permettront très bientôt) de combiner investissements et distribution de dividendes, la visibilité est exceptionnelle au regard du carnet de commandes qui ne cesse de se remplir de plus en plus vite. Et, de plus, à ce prix-là, l’action est cadeau ! Retour sur terre : plus souvent qu’à leur tour, ces “pépites” industrielles déçoivent les investisseurs qui se sont ainsi laissé séduire. Un soupçon de réflexion et l’explication apparaît d’elle-même. Les dirigeants d’une entreprise cherchant une cotation boursière, généralement via l’émission de nouvelles actions, ont tout intérêt à attendre les conditions les plus favorables pour eux, à savoir lorsque le contexte boursier permettra de fixer un cours suffisamment haut, ce qui leur permettra de créer le moins possible de nouvelles actions afin d’obtenir les moyens financiers désirés. Par ailleurs, si le projet de développement qu’ils portent par cette introduction en Bourse est si magnifique, pourquoi en passer par les fonds propres alors que l’endettement à long terme est moins cher (via la déductibilté fiscale des intérêts de l’emprunt) ? C’est très clair : une introduction en Bourse est généralement un transfert de risque des actionnaires historiques vers les nouveaux actionnaires. Ce qui est loin de la bonne affaire fantasmée lorsque le chiffon rouge “introduction en Bourse” est agité !
Une autre opération de séduction des investisseurs intervient lors des présentations des chiffres trimestriels ou annuels par les responsables d’entreprises. On aimerait qu’en ces occasions, ils s’en tiennent à un strict exercice d’information. Il n’en est rien. De plus en plus, et particulièrement en phases avancées des cycles économiques, comme c’est le cas aujourd’hui alors que les chiffres d’affaires peinent un peu, ces chefs d’entreprise rivalisent d’ingéniosité pour présenter leur mariée plus belle qu’elle n’est en réalité. A côté des chiffres officiels, peu commentés, ils mettent ainsi en avant des chiffres “corrigés”, qu’ils estiment plus représentatifs et qui ont la curieuse tendance à être plus favorables que les chiffres officiels. Ils parviennent à ce tour de passe-passe notamment en soustrayant des postes de coûts opportunément présentés comme “exceptionnels” ou “non récurrents”, comme des charges de restructuration, des coûts d’acquisition (d’autres entreprises), des frais de litiges (judiciaires), etc., quand bien même ces charges reviennent régulièrement dans les comptes, année après année. Certaines études montrent même que cette différence entre chiffres officiels et chiffres retraîtés aurait plutôt tendance à s’accroître. Non contents de leur petite manœuvre, ces responsables ne ménagent souvent pas leur optimisme pour les trimestres et années à venir. Ce qui s’avère souvent des vœux pieux qui ne résistent donc pas à la réalité lorsqu’elle survient.
Et puisque l’heure est à la finance décomplexée, de franches exagérations se font jour. En témoigne cette start up américaine, du nom de WeWork, spécialisée dans la location de bureaux partagés (coworking). Pour convaincre tout récemment les investisseurs d’acquérir ses obligations, elle a trituré ses chiffres jusqu’à transformer une lourde perte réelle en bénéfice fictif. Comment ? En utilisant la métrique déjà discutable qu’est le cash flow avant charges financières et fiscales (“ebitda”) et en l’amputant de toutes une série de charges, notamment marketing, nécessaires à sa croissance rapide. Pas très sérieux ! Le taux alléchant proposé, 7,875% par an sur 7 ans, indique certes la présence du risque mais en aura aveuglé beaucoup.
Investisseurs, attention ! A la fiction teintée de rose trop souvent utilisée pour obtenir vos faveurs (et donc votre argent), préférez toujours la crue réalité et le sens du raisonnable.