Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier
A la fin mars, je vous entretenais du sujet des Fintechs, ces start-ups combinant finance et informatique et proposant une gamme de services de paiements, d’épargne et d’investissement avec l’ambition, in fine, de redessiner le secteur financier. Je vous disais alors que si les percées de ces jeunes pousses sont bien réelles, les raisons de croire à l’imminence d’une révolution restent minimes.
Mais la Silicon Valley, ce puits d’optimisme technologique, ne va pas s’arrêter là pour autant dans ses tentatives de bousculer le conservatisme, finalement encore assez peu mis à mal, de Wall Street. Aujourd’hui, c’est un certain Eric Ries, entrepreneur et investisseur dans les réseaux sociaux, qui lance l’idée de la création d’une Bourse d’un genre nouveau, axée sur l’investissement à long terme.
Notre ami Eric a en effet diagnostiqué plusieurs faiblesses, selon lui, des Bourses traditionnelles, dont :
- Elles sont trop axées sur la performance à court terme, au détriment de l’investissement des entreprises. Rémunérer, comme c’est souvent le cas, les chefs d’entreprise en fonction de critères financiers et/ou boursiers trop rapprochés n’est pas sain.
- Les investisseurs ne sont pas assez motivés à garder leurs actions à plus long terme, ce qui empêche la constitution d’un actionnariat stable.
- L’information communiquée aux actionnaires ne fait pas la place assez belle aux sujets de première importance pour le succès à long terme de l’entreprise, comme par exemple les progrès en matière de R&D.
Je passe rapidement sur l’obstacle du régulateur boursier américain (la SEC) qui sera difficile à convaincre, et, le cas échéant, sur la délicate recherche des premières entreprises qui opteraient pour cette nouvelle Bourse.
C’est principalement sur le fond que je reste sceptique. Reprenons point par point.
Pour l’essentiel, je reste peu convaincu par le sempiternel reproche de court-termisme boursier. Car un cours de Bourse reflète, en majeure partie, des prévisions de bénéfices et de dividendes qui vont bien au-delà du trimestre ou de l’année en cours. Certes, la volatilité de la cote peut être élevée à certaines occasions, comme par exemple la publication des résultats. Mais le phénomène est le plus souvent temporaire, avec une stabilisation assez rapide autour de la valeur consensuelle de l’action.
Ensuite, avantager les actionnaires de long terme, par exemple, en augmentant leurs droits de vote en fonction de la durée de détention de leurs actions, me semble également une fausse bonne idée. Il n’est pas approprié d’encourager les investisseurs à garder des actions dont les perspectives se détériorent plus vite que le cours de Bourse ou qui ne correspondent plus à leur profil de risque. De plus, instaurer un actionnariat de long terme, peu mobile donc, entraverait les velléités de reprise par des groupes plus compétents, ce qui se ferait au détriment des actionnaires.
Enfin pourquoi reviendrait-il à une Bourse de fixer les règles du jeu en matière d’information ? En l’état actuel, rien n’oblige les entreprises à communiquer essentiellement sur leurs perspectives du prochain trimestre. De moins en moins, d’ailleurs, le font. Si elles veulent séduire des actionnaires plus sérieux, libre à elles de mettre en avant des perspectives à plus long terme. Cette variété d’approches dans la communication est aussi un moyen pour les investisseurs d’apprécier la qualité de la gestion des entreprises.
On le voit bien. En Bourse, comme ailleurs, l’enfer est souvent pavé de bonnes intentions. La Bourse n’a pas besoin, selon moi, d’une révolution. C’est d’abord aux entreprises de mieux considérer leurs actionnaires.