Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier
Avez-vous investi dans les actions de la Française des Jeux ? Comme à chaque fois, à l’occasion d’une privatisation via introduction en Bourse, le sujet s’est sans doute invité à la table de nombre d’entre vous. Une bonne affaire ou pas ? Au lendemain de la première cotation, je ne vais évidemment pas trancher ici la question qui dépend d’ailleurs en grande partie de votre profil d’épargnant/investisseur. Pour ce qui est des éléments plutôt positifs, notons une situation de monopole pour ce type de jeux d’argent (Ce qui n’exclut pas tous les autres, notamment les paris sportifs en ligne, très populaires, opérés par des entreprises privées) et une activité relativement neutre au regard du cycle économique. Parmi les éléments plutôt négatifs, outre les rendements souvent faibles des actions récemment introduites en Bourse, citons l’implication de l’Etat (impécunieux) qui restera forte, que ce soit dans la gestion même de l’entreprise, dans les conditions de réglementation de l’activité et dans la fixation du montant de la taxe prélevée sur les mises. Personne ne peut assurer que, dans les prochaines années, les intérêts de l’actionnaire seront au centre des préoccupations dans une telle entreprise. Et il y a cette question pour l’instant sans réponse convaincante : pourquoi privatiser une activité rentable alors que l’Etat peut trouver de l’argent gratuit sur le marché de la dette ? Il restait malgré tout, pour les souscripteurs, la perspective de recevoir 1 action gratuite pour 10 détenues si vous gardez vos actions 18 mois … Les jeux sont faits ! Quant à savoir si rien ne va plus …
Ce qui est certain, c’est qu’il n’a pas été permis à votre banquier de vous solliciter pour vous inciter à acheter des actions de la FDJ. En pareil cas, c’est à vous de faire la démarche et de lui demander éventuellement conseil. Cette mesure de prudence, voulue par le législateur, n’est pas anodine. Car la vente d’un produit financier signifie, d’une part, un revenu pour l’intermédiaire financier et, d’autre part, une prise de risque pour le client. Or, ce dernier peut être influençable, surtout s’il se sent en situation d’infériorité (intellectuelle d’expertise) via-à-vis de son banquier.
Le rare procès qui s’est récemment ouvert au pénal à Paris nous rappelle opportunément qu’il n’est pas toujours bon de suivre les conseils de son banquier en situation de conflit d’intérêts. Sur le banc des accusés, la puissante banque française BNP Paribas à qui sont reprochées des pratiques commerciales trompeuses en vue de vendre en 2008 et 2009 des prêts immobiliers accordés en francs suisses mais remboursables en euros (offre baptisée “Helvet Immo”). Des associations de consommateurs françaises et plus de 1600 particuliers se sont constitués parties civiles dans cette affaire.
Si la BNP Paribas n’est pas l’unique banque à avoir commercialisé de tels crédits (le Crédit mutuel et le Crédit agricole y ont également eu recours), elle serait la seule à en avoir largement et sciemment caché les risques aux souscripteurs. En particulier, celui de la possible revalorisation du franc suisse qui rend le remboursement en euros nettement plus dispendieux. Ce qui a effectivement eu lieu à partir de 2011. Et ceci sans même parler de l’effet délétère d’un taux d’intérêt variable. La conséquence sur les emprunteurs est catastrophique. Ainsi, selon les dires d’un avocat, « Un emprunteur ayant souscrit son crédit en 2008 pour un montant de 130.000 euros doit aujourd'hui 160.000 euros, alors qu'il rembourse environ 700 euros par mois depuis 10 ans ».
Bravo donc aux équipes de François Villeroy de Galhau, à l’époque patron de la filiale concernée de la banque et aujourd’hui … gouverneur de la Banque de France ! Car pendant que ses experts financiers exposaient les clients à de possibles graves déconvenues (pouvant aller jusqu’à des cas de surendettement), la banque, elle, ne courait pas le moindre risque.
Souhaitons une heureuse issue, à savoir une totale indemnisation, à tous les souscripteurs floués. Depuis la crise financière de 2008, dont cette affaire est un prolongement, les citoyens ont le sentiment que le monde de la finance n’a pas été suffisamment sanctionné, y compris par des peines d’emprisonnement. L’Islande, avec des condamnations touchant plusieurs banquiers pour des délits avérés, reste, c’est vrai, un cas isolé où la justice a eu la main (un peu) plus lourde qu’ailleurs.
Avant même son issue, la tenue d’un tel procès, aujourd’hui à Paris, est déjà une victoire.