« Petite chronique boursière » : Le boursicoteur et le syndicaliste

Vincent_colotPar Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier

Le boursicoteur ayant tradé

Tout l’été

Se trouva fort dépourvu

Quand le krach fut venu

….

Rassurez-vous, contrairement à ce que le titre de cette chronique laisse supposer, je ne vous réciterai pas ici une fable revue et corrigée par mes soins. Mais il est une situation que tout investisseur en actions (le « boursicoteur ») a vécu au moins une fois dans sa vie. De quelle histoire s’agit-il ? Elle se passe au cours d’un repas de famille ou entre amis auquel vous, le boursicoteur, prenez part. A un moment donné, la conversation dévie sur la situation économique. Après quelques commentaires sur l’emploi et sur le pouvoir d’achat, il y en a toujours un, nettement moins libéral que les autres (et désigné ici sous l’appellation de « syndicaliste »), pour s’esclaffer : « Une chose est claire, ce ne sont pas les actionnaires qui touchent de gros dividendes qui ont des problèmes de fin de mois ! ». La majorité des convives acquiescent. Quelques autres, qui connaissent votre désormais coupable penchant pour la Bourse, se tournent vers vous et attendent votre réaction.

Que faire en pareil cas ? Tout argument de nature philosophique (reposant par exemple sur la liberté individuelle ou sur les bienfaits de la globalisation économique) est voué à l’échec. C’est une confrontation de lutte des classes : le riche rentier contre le pauvre exploité. Il vous faut des arguments sonnants et trébuchants. Bien entendu, la période récente n’arrange pas votre défense. Il est vrai que depuis la crise financière de 2007-08, les banques centrales ont eu recours à des politiques monétaires très accommodantes qui ont davantage profité à la Bourse qu’à l’économie dite « réelle ». Ce faisant, ce sont d’ailleurs les vrais rentiers, à savoir les épargnants qui comptent sur les intérêts de leurs livrets, qui ont tout lieu de se plaindre de la forte baisse des taux.

Vous vous éclaircissez la voix et vous vous lancez.

B (le boursicoteur) : « Le fantasme de l’investisseur en actions qui s’enrichit en dormant ne tient pas la route sur longue période. Ainsi, de 1983 à 2007,avant donc la crise financière et sur la base des 3000 principales actions américaines, près de 2 actions sur 5 perdent de l’argent (dividendes compris), en dollars américains : au moins 75% de leur valeur pour la moitié d’entre elles ».

S (le syndicaliste), légèrement déstabilisé : « Comment peux-tu dire ça ? Tout le monde sait que la Bourse a fortement progressé d’abord sous Reagan et puis sous Clinton. Dans les années 2000, il y a eu des fortes crises, c’est vrai mais les cours des actions ont bien rebondi ».

B : « Celui qui aurait acheté toute la Bourse, à savoir un fonds qui suit l’indice général, aurait en effet réalisé de bons rendements. Mais au prix d’une volatilité parfois forte. Il faut alors avoir du caractère pour ne pas vendre dans un creux de la vague. Et un peu de chance pour ne pas avoir besoin de son argent à ce genre de moment-là. Quant à celui qui s’est constitué un petit portefeuille d’une dizaine de titres, il ne peut pas se contenter de sa seule bonne étoile. Sur la période précitée, 65% des actions ont généré un rendement inférieur à 10% par an, le rendement médian n’est que de 5,1% tandis que le rendement moyen a été … négatif de -1,06%. Au total, quelque 75% des actions fournissent un rendement globalement nul ».

S’ensuit alors un éclaircissement rapide sur la différence entre moyenne et médiane pour les moins férus en statistiques de l’assemblée.

S affiche un petit sourire crispé : « Allons, allons, tu nous embrouilles avec tes moyennes et tes médianes. Celui qui s’y connaît un peu en Bourse, s’en sort généralement mieux que ça ! ».

B : « Avec l’expérience, on finit en effet par éviter les erreurs les plus grossières, c’est vrai. Mais pas toutes et pas tout le temps. Et, comme je te l’ai dit, il faut un mental à toute épreuve. Un portefeuille d’une dizaine de titres, tel que le mien, te fait courir un risque énorme, pas seulement en termes de volatilité mais également en termes de baisse durable (voire définitive en cas de faillite) sur certaines valeurs. Quant aux actions qui performent le mieux, soit les quelque 14% d’actions qui gagnent plus de 20% par an en moyenne, il est pour ainsi dire impossible de les détecter à l’avance ».

S : « De toute façon, tout ça, c’est de la spéculation éhontée sur le dos des travailleurs et on devrait vous taxer davantage ».

B : « Tu n’as pas dû bien comprendre. Le rendement annuel moyen sur 24 ans est négatif : je ne vois pas bien sur quelle base tu vas taxer cela, sauf éventuellement à devoir rendre de l’argent aux boursicoteurs qui ont déjà payé un impôt sur les dividendes perçus …. ».

Voilà, vous avez retourné la table en votre faveur. Avouez que ce n’était pas gagné d’avance !

 

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