Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier
Que n’avions-nous pas entendu à l’occasion
de la crise financière ? Le néo-libéralisme (qu’a-t-il de
« néo » exactement ?) avait montré toutes ses limites en faisant
vaciller les économies occidentales … En Europe en général, et en France plus
particulièrement, une forte tradition étatiste de tendance sociale-démocrate
avait alors protégé les citoyens contre les pires effets de la crise …
Vingt mois après la faillite de Lehman
Brothers, ce son de cloche s’altère quelque peu alors que la crise grecque fait
à son tour tanguer l’Europe, et partant de là, toute la planète économique et
financière. Comment ? Ces Etats, hier encore si vertueux, se retrouvent
désignés à leur tour comme des fauteurs de troubles ? Est-ce
possible ?
Pas si vite, papillon ! Si les Etats
éprouvent aujourd’hui des difficultés, c’est bien parce qu’ils ont dû éponger
la marée noire de la crise immobilière et bancaire. Certes … Mais qui est à
l’origine de cette folie immobilière ? Aux Etats-Unis, le gouvernement
(celui du méchant Bush et déjà celui du gentil Clinton avant lui) a encouragé
une politique visant à permettre à tout un chacun de devenir propriétaire de son
logement, quitte à donner un coup d’accélérateur aux fameux
« subprimes » … Un modèle que le candidat Nicolas Sarkozy avait
défendu en son temps … Et n’entrons même pas dans le débat de la politique
monétaire américaine très accommodante qui a suivi les attentats du 11
septembre 2001 … Par ailleurs, les Etats n’ont-ils pas fait preuve d’une grande
légèreté en ne se ménageant qu’une faible marge de manœuvre budgétaire AVANT
l’apparition de la crise ? L’endettement de nombreux Etats était en effet
déjà préoccupant bien avant septembre 2008 (ou été 2007). Et que dire des
mécanismes de régulation du secteur financier qui relèvent de la responsabilité
des pouvoirs publics ? N’était-il pas possible d’y mettre bon ordre AVANT
cette crise ? C’est à cause du puissant lobby bancaire, entend-on ici ou
là. C’est vrai. L’Administration du gentil Clinton a capitulé trop vite … Les Etats sont-ils à ce point devenus des
lavettes qu’ils ne peuvent plus s’opposer aux monstres financiers « too
big to fail » qu’ils ont laissé se créer ? Enfin, en Europe, pourquoi
avoir créé l’euro hors de toute véritable politique économique d’ensemble de la
zone ? Pourquoi avoir toléré que les pays ne respectent pas strictement
les critères d’orthodoxie financière préalablement définis ? Pourquoi
avoir laissé la situation se détériorer à ce point ?
Bref, on le voit bien : il serait
injuste d’épingler l’incompétence de certains dirigeants d’entreprises en dédouanant, quasi idéologiquement, de tout reproche les chefs d’Etat et leurs
Ministres (d’aujourd’hui et d’hier). La Bourse, c’est l’apologie de la pensée
court-termiste, assène-t-on. Les décisions de certains grands patrons (pas
tous) sont orientées, il est vrai, en fonction des bonus qu’ils espèrent
recevoir à court terme : de là les risques souvent énormes (une
acquisition trop lourde à supporter et trop cher payée, une réorientation
stratégique audacieuse, etc.) qu’ils font alors supporter à leurs actionnaires
et à toutes les autres parties prenantes telles que les employés, les clients,
les fournisseurs, etc. Mais qui peut nier que certains dirigeants de nos pays
n’ont pas également des problèmes de myopie ? Au coin du calendrier se
trouve toujours l’une ou l’autre élection qu’il s’agit d’essayer de remporter. Demandez
à Angela Merkel qui a envenimé une situation déjà dramatique en retardant
l’accord de l’Allemagne au sauvetage de la Grèce, pour cause d’une élection
régionale (certes importante mais qu’elle a de toute manière perdue). Pourquoi,
dans ces conditions, tenir aux électeurs un discours de vérité, par essence
souvent désagréable à entendre ? Il est tellement plus facile de laisser pourrir les problèmes et de creuser les déficits avec des visées purement
clientélistes. Et si cette non-gestion de la chose publique s’accompagne de pratiques
frauduleuses, comme en Grèce, semble-t-il, qu’à cela ne tienne ; ce n’est
pas si grave. Après nous, le déluge !
Car, sans cautionner le « tous
pourris » populiste, le fond du problème est bien le même : celui des
conflits d’intérêts avec, qui plus est, des horizons temporels différents. Le
souci du chef d’entreprise peu scrupuleux est de s’enrichir le plus vite
possible, peu importe si cela ruinera les actionnaires dans 3 ou 5 ans. Et le
chef d’Etat, une fois élu, s’occupe déjà de sa future réélection, peu importe
si dans un avenir plus ou moins proche les citoyens (ou leurs enfants) subiront
une sévère cure d’austérité. Et dans les deux cas, la question de la
« gouvernance » est soulevée sur fond d’asymétrie de l’information.
Où sont les garde-fous ? Comment actionnaires et citoyens peuvent-ils
s’opposer à des politiques qui vont droit dans le mur ? La démocratie
(principe de base dans nos sociétés et illusion formelle dans les entreprises)
s’avère assez impuissante : actionnaires et citoyens se laissent, au
choix, ou griser ou endormir.
La sagesse recommande aux actionnaires et
aux citoyens de se méfier des promesses de lendemains qui chantent, surtout
quand elles proviennent de hérauts qui ne seront plus là pour en rendre compte,
et d’analyser la situation du moment au microscope (le diable se nichant
souvent dans les détails). Pour cela, la meilleure arme reste une éducation (si
possible familiale et en tous cas nationale) de qualité, alliant culture
historique et sens critique. On n’a rien sans effort, sauf les larmes …