Par Gilles Martin (chroniqueur exclusif) – Président du cabinet de conseil en stratégie et management PMP et gérant de Youmeo un innovation Lab et conseil en innovation
Parlez avec n’importe quel dirigeant, dans n’importe quelle entreprise, ils vous diront tous que leur objectif est de rester connecté aux clients, au marché, d’anticiper les changements et de s’y adapter. Cela a l’air d’une évidence.
Pourtant nombreux sont ceux qui aspirent à retrouver ce « Customer Centrix » ou même à le découvrir. Preuve que ce n’est pas si simple.
Pourquoi ?
Il y a déjà ceux qui, même dans les entreprises de services, se sont un peu trop laissés contaminés par l’obsession des « process » ou « processus ». Les process sont des chaînes linéaires de causes et d’effets qui, quand elles sont bien organisées, débouchent sur des résultats fiables et prédictifs. Souscrire une police d’assurance passe par des étapes bien organisées, et à la fin je suis assuré.
Mais ce n’est pas ça le service. Alors que le process est conçu pour être uniforme, quel que soit le client, les services sont co-créés avec chaque client, et c’est une expérience différente à chaque fois.
Un process a un seul client : la personne qui reçoit le résultat final (le souscripteur de la police d’assurance). Le process est défini par des règles et des procédures, et soigneusement régulé (qui a le droit de faire quoi, quels sont les rôles et responsabilités).
Quand on parle de service, on parle d’autre chose : la valeur n’est pas créée par l’entreprise seule, mais par l’échange. Le service du coiffeur, c’est aussi la qualité de l’accueil, la conversation avec le coiffeur pendant qu’il vous coiffe, l’ambiance du salon, tout un tas de petites choses qui donnent de la valeur à l’expérience. Et cela ne dépend pas que du process pour traiter les opérations. Ce n’est pas le produit ou le service acheté qui fait l’expérience, ce ne sont finalement que des étapes intermédiaires. La relation entre une entreprise et ses clients se développe progressivement, grâce à la relation de confiance qui se crée. Si mes amis trouvent que je suis bien coiffé, je leur parlerai de ce coiffeur, et c’est ainsi que se transmet la confiance entre les clients et l’entreprise de coiffure.
Le service est d’abord une relation entre le serveur et le servi. Dans chaque interaction, la mesure du succès, de la performance, n’est pas le produit, ni la coupe de cheveux, mais la satisfaction, la déception, ou l’enchantement du client.
C’est précisément parce que les clients ont de plus en plus d’exigences dans les services qu’ils achètent que les entreprises doivent trouver les moyens pour les adapter à chacun, et même à les adapter aux services complémentaires, même ceux d’autres entreprises, que les clients attendent. J’aime ce coiffeur aussi parce qu’à côté il y a ce marchand de glaces que j’adore ; j’y vais à chaque fois en sortant. Prenez aussi PayPal, ce service de paiement facilement intégré aux systèmes de commande sur internet. Certains clients sont tellement satisfaits de ce service qu’ils n’iront pas sur un site marchand qui n’offre pas PayPal.
En fait, les services sont devenus un réseau de services qui s’interconnectent les uns avec les autres. Et c’est en créant ou en s’intégrant à ces réseaux que les entreprises améliorent leur expérience client.
Pour cela, les entreprises doivent apprendre comment naviguer et interagir efficacement dans des environnements qui sont de plus en plus fluides, en changement perpétuel (tiens, le marchand de glaces n’est plus là !), et que la plupart du temps ils ne contrôlent pas.
Et pourtant le danger c’est justement que les entreprises, en grandissant, risquent parfois de se distraire et de perdre le contact, la connexion, avec le client. Un bon exemple est Starbucks, qui s’est énormément développé dans les années 2000, en se concentrant sur l’ouverture de plus en plus de magasins, avec de plus en plus de produits. Au point de perdre le contact avec ce qui faisait l’expérience client, le service, la qualité du café, l’ambiance du lieu. Le CEO, Howard Schultz raconte qu’il a compris l’ampleur du problème en découvrant une pile d’animaux en peluche sur le comptoir d’un magasin. En croyant ainsi augmenter son chiffre d’affaires, le responsable était en train de casser l’ambiance du café. Se croyant invincible, Starbucks a ainsi commencé à perdre du terrain et des profits. En 2008, il a fermé plus de 600 magasins, rétréci la gamme des produits. Les affaires sont reparties, mais le coup a été rude.
Toutes les entreprises peuvent connaître ce danger. Croire que la croissance nous permet de moins nous occuper des petites attentions pour le client, et se draper dans une certaine forme d’arrogance. Même les consultants ne sont pas à l’abri de telles dérives.
Mais alors, comment faire pour rester connecté ?
Le livre de Dave Gray, « The connected company » est justement là pour nous aider à trouver les réponses. Et parmi ces réponses, on trouvera le but de l’entreprise.
Une entreprise connectée ne se comporte pas comme une machine mais comme un organisme vivant qui apprend. Et pour cela elle a besoin d’un but, de sens. Une tondeuse à gazon n’a pas de but, elle se laisse conduire par celui qui l’entraîne où il veut. Alors que l’entreprise a besoin d’un but partagé par tous ceux qui y participent.
C’est précisément ce but qui communique la même envie d’apprendre à tous. Et ce but ne peut pas se limiter au volume des ventes, au taux de marge ou au prix de l’action. Tous ces indicateurs sont des résultats. Mais le but concerne le cœur de la relation et du service au client. Les causes du succès ne sont jamais les revenus, les coûts ou les profits. Ceux-ci ne sont que des indicateurs ou des effets. Un niveau de profit en tant que tel ne donne aucune indication sur la valeur à long terme de l’entreprise. Ce qui compte, ce sont les activités qui créent de la valeur à long terme. Et celles qui à l’inverse détruisent de la valeur.
La recherche de profit comme seul but peut détruire de la valeur pour le client : en réduisant les coûts, on peut réduire la qualité des produits, ou couper dans des services support qui ont de l’importance pour la satisfaction des clients. Alors que l’on dégage des profits à court terme, on tue ce qui fait le succès à long terme : les relations fortes avec le client.
Pourtant de nombreux systèmes d’incitation financières à la performance sont précisément construits sur cette recherche des ventes à court terme. Si l’on veut vraiment être au service du client et « customer centrix », il faudra donc aussi revoir des tels systèmes.
Dave Gray résume ainsi le but d’une entreprise : « ce qu’elle fait pour les clients ». Ce que Clayton Christensen appelle « The job to be done ». Il veut dire ainsi que même si les technologies et les méthodes changent le “job” ne change pas. Pour Fedex, il s’agit de transporter un colis d’un point A à un point B aussi vite que possible et en toute sécurité. C’était pareil sous Jules César. En fait, ce n’est pas seulement le « job to be done » qui compte, mais aussi la manière de le faire. Et c’est en s’immergeant dans le comportement de chaque client que l’on découvre ses attentes profondes, même inexprimées. Et elles évoluent dans le temps. Jules César se contentait d’un paquet arrivé en deux mois ; aujourd’hui il demanderait un délai d’un jour, voire de quelques heures. C’est justement en apprenant constamment que l’on change les objectifs et la performance de satisfaction du client.
Customer Centrix, c’est une exigence de performance sans fin. Pour toujours enchanter nos Jules César.