Le début de la créativité : désapprendre sur une plage de Miami

Gilles MartinPar Gilles Martin (chroniqueur exclusif) – Président du cabinet de conseil en stratégie et management PMP et gérant de Youmeo un innovation Lab et conseil en innovation

La créativité est un mot qui désigne de nombreuses situations : celle de l’artiste, du poète, de l’architecte, de l’ingénieur, du scientifique, du Département Recherche & Développement. Toutes ces situations sont sûrement très différentes.

Pourtant le processus créatif lui-même semble universel. Il comprend des étapes que l’on retrouve partout. C’est du moins l’avis de Kyna Leski, architecte, qui a consacré un livre très inspirant au sujet : «  The storm of creativity ». Elle compare en effet le processus de la créativité à un orage : on ne sait pas d’où il vient, les signaux faibles s’accumulent, et il prend forme progressivement, quand soudain l’orage éclate.

Dans chaque situation la créativité a le même but : découvrir quelque chose qui n’existe pas encore, qui est nouveau. Ce qui est créé est comme un être qui naît ; avant d’être créé, il n’existe pas.

La première étape pour enclencher un processus de créativité, et faire venir des idées neuves, celle qui déclenche tout le processus, c’est de désapprendre (« unlearning ») : la créativité exige un esprit ouvert, qui fait de la place pour le vide. Certains n’y arrivent jamais. Pour eux, l’expertise est leur credo ; ils accumulent les savoirs, et croient que leurs certitudes sont leur meilleur atout. Même certains consultants sont victimes de ce syndrome, associé à une bonne dose d’arrogance. Ils finissent par reproduire toujours les mêmes choses, et ne trouvent plus rien de nouveau à penser ou à exprimer.

Désapprendre cela consiste à questionner ce que l’on croit savoir, à le challenger. Kyna Leski cite son propre métier : quand un architecte se voit demander de designer une salle à manger, d’une certaine surface, et située dans un endroit de l’appartement, celui qui a des certitudes va faire appel à ce qu’il sait de la meilleure façon de définir une salle à manger. Celui qui a l’esprit ouvert va procéder autrement : Au lieu d’aller chercher quel type de salle à manger peut vouloir le client, il va aller explorer comment vit la personne, comment elle prépare ses repas, comment elle déjeune et dine, quand est-ce qu’elle déjeune dans la cuisine, et quand est-ce qu’elle se tient dans la salle à manger. Il va observer les interactions avec l’extérieur, avec les autres fonctions de la maison ; sans aucun préjugé sur la solution pour concevoir une salle à manger, ni même sur ce qu’est une « salle à manger », ou une « salle ».

Car ce sont précisément nos certitudes et préjugés qui empêchent la créativité. Il faut donc se protéger de l’influence de ce que nous croyons déjà « savoir ». C’est pourquoi même les séances de « brainstorming » peuvent nous fourvoyer : dans une séance classique de brainstorming , on peut se retrouver avec les préjugés et les certitudes de chacun des participants, qui au lieu de désapprendre, vont utiliser ce qu’ils « savent » de la situation. C’est pourquoi la séance de brainstorming ne sera efficace que si chacun des participants a d’abord appris à désapprendre.

De même que l’orage a besoin d’une situation instable pour émerger, le processus de « désapprentissage » a besoin de l’incertain pour se mettre en route. Et faire venir l’incertain, c’est d’abord une question d’attitude : le doute, le questionnement, l’insécurité, sont des ingrédients nécessaires. Il faut atteindre cet état où l’on est comme devant une page blanche, une table rase.

Pour cela, il peut être utile de se mettre dans des situations anormales : Kyna Leski cite ainsi l’artiste Paul Klee qui avait l’habitude de retourner ses dessins en sens inverse au milieu de leur exécution, et continuait à dessiner dans ce sens inverse, puis le retournait de nouveau. C’est Paul Klee qui écrit dans son ouvrage « Creative credo » mais que l’on pourrait généraliser à tout processus créatif : «  L’art ne reproduit pas le visible ; mais plutôt il crée le visible ».

De cette attitude de « désapprendre » et d’incertain naît une composante forte du processus créatif : l’attention. C’est en étant attentif à ce à quoi nous n’étions pas attentifs, en observant ce que nous ne voyions pas, ou que ne nous voyions pas de la même façon, que nous allons nous laisser surprendre et faire émerger des idées nouvelles.

Pour démontrer toute la force de ce processus et de l’attention, kyna Leski cite l’histoire d’un américain sur une plage de Miami : Joseph Woodland (1921-2012). Vous ne le connaissez peut-être pas ; il a pourtant révolutionné le monde de la Distribution…

Woodland n’était ni artiste, ni architecte, mais ingénieur. En tant que jeune diplômé, il travaille sur un problème présenté par un directeur de supermarché qui avait visité son université en 1948 : Comment encoder les données des produits du supermarché dans une base unique. Il ne trouva pas tout de suite la réponse. Alors il se consacra a se vider l’esprit pour faire émerger des idées nouvelles. Il se trouve qu’il avait appris le langage morse, et cela lui a servi. C’est ainsi qu’il se retrouve dans un transat sur une plage de Miami. Et qu’il commence à tracer avec ses doigts sur le sable quatre lignes parallèles. Alors il a un éclair : « Ce ne sont que quatre lignes, mais elles pourraient être épaisses ou étroites…Et c’est ainsi qu’est née l’idée du code-barres, qui allait devenir le standard de la distribution dans le monde entier. Et voilà comment en cherchant dans l’incertain sur une plage de Miami, en traçant des lignes sur le sable, on crée une révolution…

Alors, peut-être est-ce le bon moment de désapprendre 2016 pour créer et inventer dans l’incertain tout ce qui sera nouveau en 2017.

Pas obligé d’aller sur la plage de Miami pour autant.

D’autres endroits sont sûrement propices aussi.

Bonne Année de désapprentissage !

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