Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier
La nature humaine est ainsi faite. Les individus ont tendance à s’attribuer le mérite de leurs réussites et à imputer leurs échecs à des causes extérieures. Cette auto-complaisance s’accompagne d’un corollaire néfaste, le déni de réalité, et est à l’origine de mauvaises décisions et de comportements déviants.
Pour avoir observé depuis plusieurs années les évolutions économiques et la vie des entreprises, il m’a souvent été donné de (re)connaître les ressorts de cette auto-complaisance généralisée.
Que ce soient les gouvernements ou les banques centrales, les grands décideurs des politiques économiques sont ainsi toujours prompts à revendiquer les périodes de bonne conjoncture. Mais dès que les nuages s’amoncellent ou qu’une crise éclate, à chacun d’en trouver les raisons en dehors de leurs sphères de « compétence ». Par exemple, des taux d’intérêt maintenus trop longtemps trop bas par une banque centrale, à l’origine initialement d’une phase de croissance, peuvent résulter en un endettement excessif et des investissements peu rentables, ce qui crée les conditions d’une bulle aux effets potentiellement dévastateurs. Ainsi en 2007/08, aux Etats-Unis, les banquiers (privés) ont été pointés du doigt et ont évidemment une responsabilité dans la crise ; mais il ne faudrait pas exonérer les pouvoirs publics américains qui avaient tout fait pour encourager l’essor de l’immobilier, notamment auprès des personnes aux (trop) faibles revenus.
Dans les entreprises aussi, les responsables sont prompts à minorer les effets d’une conjoncture favorable pour mettre en avant les soit-disant mérites de leur stratégie et, accessoirement, justifier des hausses de leurs salaires. A contrario, en cas de problèmes dans la marche des affaires ou d’évolutions défavorables du cours de l’action, la faute en revient systématiquement à la crise ou aux investisseurs trop frileux. Jamais, bien entendu en pareils cas, à un endettement excessif ou à un investissement mal calibré. Ce fut à ce petit jeu que s’était récemment essayé Jeffrey Immelt, le PDG du géant General Electric : croyant se mettre à l’abri d’une évolution décevante du cours de l’action GE en invoquant des actionnaires « n’ayant pas bien compris » les investissements réalisés par le groupe dans les solutions numériques à destinations de ses clients industriels, il fut remercié par son conseil d’administration sous la pression de l’un ou l’autre gros actionnaire impatient. Ironie du sort : les actionnaires activistes sont également prompts à rejeter sur autrui la faute d’un investissement mal ciblé. Car si Jeffery Immelt ne rentrera sans doute pas dans le panthéon des grands dirigeants d’entreprise, il est un peu facile de lui imputer toutes les misères qui ont accablé le groupe sous sa direction et qui remontent, pour certaines, au management précédent (d’avant 2001!).
Mais cette auto-complaisance ne touche pas que les « puissants ». Les petits épargnants en sont également victimes. Il n’est ainsi pas rare que certains surestiment leurs capacités à sélectionner de bons titres alors que les bons résultats qu’ils ont obtenus proviennent d’une raison autre que celle anticipée, souvent d’ailleurs une hausse généralisée des marchés. Ainsi grisés, ils en viennent à prendre de plus en plus de risques. Et, si les aptitudes spéciales qu’ils s’attribuent ne sont en fait que de la chance – comme c’est souvent le cas – , ils ne sont généralement pas préparés à affronter une crise majeure. En pareil cas, souvent, ou ils vendent à des cours trop bas ou bien ils tentent de se « refaire » rapidement en accentuant encore leurs prises de risques. Les déconvenues sont alors inévitables.
Dans votre analyse de la situation économique et financière d’un pays ou d’une entreprise, ne soyez pas dupe des postures des uns et des autres. Mieux : tentez de discerner les risques inhérents aux dénis de réalité, plus fréquents qu’on ne le croit. Et en tant qu’investisseur, gardez la tête froide en ne vous attribuant pas trop légèrement les mérites exclusifs de l’une ou l’autre « bonne » décision.