Le management est-il un sport ?

Gilles MartinPar Gilles Martin (chroniqueur exclusif) – Président du cabinet de conseil en stratégie et management PMP

Cela fait quelque temps, les années 80 peut-être, que l’on rapproche le monde de l’entreprise et celui du sport. Ce rapprochement tient déjà ai monde du sport lui-même qui se professionnalise de plus en plus : le métier de manager ou coach de sportif se développe, les compétitions et les entraînements sont vus comme de vrais processus industriels. Il tient aussi au monde de l’entreprise, qui vient chercher dans le sport des inspirations nouvelles ou régénératrices, voire un nouveau « sens » (car la « recherche de sens » est la nouvelle chasse aux trésors dans l’entreprise aujourd’hui).

Pourtant, ces deux mondes n’ont à première vue pas beaucoup de rapport. Cela remonte à nos années à l’école : au lycée les profs qui faisaient progresser, et allaient nous porter à la meilleure réussite, ce n’étaient pas les profs de gym ; plutôt le prof de maths. Le prof de gym, c’était l’ami des cancres, le bon gars qui défendait les élèves indéfendables en conseil de classe, sous le regard narquois des profs les plus intellos. Cela n’a pas trop changé ; il suffit de voir les films ou séries, avec toujours le « binoclard » premier de la classe, et le beau gosse nul, sauf en gym.

 L’imaginaire du sport s’en est ressenti et les clichés sont bien connus : les sportifs, ce sont ces types bourrins, quasi incultes, ne sachant pas s’exprimer, qui  sont moqués par les humoristes. Le football et le cyclisme nous ont apportés parmi les meilleurs spécimens. Alors, en faire des modèles pour le management….C’est du sport !

Pourtant dans le  monde de l’entreprise, le sport redevient la référence ; c’est la revanche de ce petit prof de gym qui semble nous dire : je vous l’avais bien dit.

Le sport se trouve alors investi, pour le monde de l’entreprise et du management, d’une énorme charge imaginaire positive, paré de vertus et de vecteurs d’identification très forts ; au point que les sportifs sont érigés en héros nationaux qui deviennent des instruments au service de mythes, de récits fondateurs, de métaphores toutes plus merveilleuses les unes que les autres. Le mythe est fort, car même les sales histoires et dérives du monde du sport que l’on connaît tous (dopage, corruption, tricheries des matchs, guerres d’egos entre les joueurs, coup de boules sur les stades,..) n’y font rien. La légende reste vivace : le sport et les sportifs sont des êtres merveilleux, et des modèles pour le management. Les entraîneurs y trouvent d’ailleurs des reconversions intéressantes, et font le tour des entreprises et réunions de cadres dirigeants pour y vanter les mérites du sport professionnel de haut niveau.

Ce qui plait dans les métaphores sur le sport, c’est ce mélange de compétition, de recherche de performance (le sport professionnel, ça consiste à gagner les matchs et les compétitions), et de motivation au maximum. Souffrir, faire des efforts, mais en tirer le maximum de plaisir. C’est le rêve du management, non ? Car on imagine bien les cas où les employés sont poussés à la performance par des managers tyranniques, qui ne les motivent pas mais les abrutissent, et qui, alors, ne sont pas performants ; provoquant un regain de contrôle et de pression des managers, et toujours pas de résultat. Inversement, l’entreprise trop cool, où tout le monde a l’air heureux, mais où la performance est nulle, ce n’est pas non plus le modèle.

L’imaginaire du sport permet de  mettre en avant des valeurs universelles telles que le dépassement de soi, la volonté, le fair play, le courage, l’abnégation, la joie dans l’effort, la responsabilité, la compétition. Tous ces attributs correspondent à des croyances, plus proches des mythes que de réalités tangibles, jamais vraiment démontrées. On construit de belles histoires, nourries d’anecdotes, pour tenter de stigmatiser les vertus dont on espère ainsi que les entreprises, leurs managers et dirigeants, vont se parer. Le message est fort, le transfert de ces valeurs se fait au travers des générations. Et les dérives, quand elles sont connues, comme le dopage par exemple, servent à renforcer le mythe : le vrai sport, ce n’est pas ça ; les valeurs positives du sport, sa morale, s’en trouvent défendues et renforcées. Le mythe s’entretient de ces écarts.

Quatre auteurs du Laboratoire Sport-MG Performance d’Aix-Marseille (Sarah Calvin, Tarik Chakor, Nicolas Cicut, Pierre Dantin) analysent dans le dernier numéro de la Revue Française de Gestion « le leadership des sélectionneurs sportifs de haut niveau » qu’ils décrivent comme une « figure transformationnelle ». A partir d’analyses de « récits de vie » recueillis auprès de sélectionneurs de sports collectifs, ils montrent que ces histoires permettent de valoriser une forme moderne de leadership : un leadership fondé sur l’échange, le leader efficace étant celui qui a un pouvoir transformateur sur ceux qu’ils dirigent, en créant de l’adhésion plutôt que qu’en exerçant une subordination. C’est une forme idéalisée du management : celles où tout le monde se donne à fond de son plein gré, sans contrainte coercitive. C’est l’influence, et non la coercition, qui est la clé. C’est cette capacité à amener les collaborateurs « là où seuls ils ne pourraient aller en leur donnant le sentiment d’y être allés par eux-mêmes ». On pourrait appeler cela de la manipulation, qui est une des techniques d’influence parmi les plus efficaces. C’est cette capacité de générer l’autodétermination des cadres, permettant de mobiliser les énergies des hommes au travail, que les auteurs de l’article ont retrouvé dans tous les récits des sélectionneurs qu’ils ont rencontrés. Les leaders sportifs portent ainsi un modèle inspirant pour l’entreprise en quête de sens et d’un modèle d’engagement par auto-détermination. C’est ce qui fait dire aux auteurs que «  l’exploitation, par l’entreprise, du sport et de sa symbolique à des fins d’amélioration de la performance ou même à des fins fédératrices et identificatoires n’en est qu’à ses prémisses ».

Pour m’en convaincre, il m’a suffi d’ouvrir l’ouvrage que mon ami Pierre Blanc, dirigeant d’un cabinet de conseil, et ancien nageur de compétition, vient de sortir aux Editions du Palio : «  On manage comme on nage – 15 leçons de natation à l’usage des managers ». L’originalité, c’est de parler d’un sport qui paraît plus individuel que d’équipe, pas trop dans le style des stéréotypes de l’entreprise. C’est que son argumentation parle du manager lui-même, du nageur lui-même, et non de l’entraîneur. Pour lui, pour bien manager, il faut d’abord se manager soi-même. La lecture de son livre est une sorte de parcours de santé pour bien se préparer aux situations de management (une présentation importante à un comité de Direction par exemple), connaître et savoir écouter ses émotions, son corps (pour pouvoir s’accorder des moments de récupération, comme les nageurs, et non s’épuiser dans l’effort continu), faire les « debriefs » au bon moment (c’est-à-dire à chaud, tout de suite).

Il met en scène avec talent ce manager inspirant au corps de champion, ces nageurs qui ont tant de modèles d’humanisme à nous transmettre. On se laisse bien mener par ces jeux de métaphores aquatiques, au point de finir par croire, comme il le suggère lui-même, que « la natation donnera un jour droit à une formation diplômante » en management. Tout un symbole.

On a du mal à choisir si son livre donne envie de mieux manager ou d’aller à la piscine.

Mais il n’est peut-être pas nécessaire de choisir. L’un nourrit l’autre. 

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