Le mythe du potager : tous jardiniers !

Gilles MartinPar Gilles Martin (chroniqueur exclusif)Président fondateur de PMP et fondateur de Youmeo

Nous vivons aujourd’hui dans ce que l’on appelle la « société de consommation ». C’est la consommation qui fait la croissance. Nous consommons comme si ce que nous consommons tombait du ciel, dans l’abondance. Pourtant, à l’autre bout de la chaîne il y a forcément des travailleurs qui œuvrent pour fabriquer et approvisionner ce que nous consommons. Or, aujourd’hui nous ne savons plus rien de la fabrication, de la  logistique et de tous ceux qui s’affairent pour mettre en ligne ou en rayon tous ces produits, rien non plus des cadres et des organisations des entreprises. Et encore moins des agriculteurs et des pêcheurs dont on achète les produits en promotion. Tout nous apparaît, prêt à consommer, découpé et emballé, comme par magie. Nous ne voyons pas, ou n’avons pas envie de voir, pour ne pas gâcher notre plaisir, les efforts de ceux qui peinent à la satisfaction de tous les clients capricieux et pressés.

Dans cette société, le monde du travail est quasiment invisible. La liberté, c’est celle de consommer. Vivre ensemble, ce n’est pas la fatigue de bâtir des maisons mais le plaisir de les habiter. Ce n’est pas dans l’effort de brasser de la bière, mais dans sa dégustation à petites gorgées au bar entre copains.

On a perdu de vues toutes les mains et petites mains, les coups de main, les tours de main, les managers, qui ont rendu tout cela possible.

Bien sûr les consommateurs et les travailleurs ne sont pas si éloignés, car ce sont les mêmes en fait. Ce sont les mêmes qui travaillent d’un côté et qui consomment de l’autre. Et si les citoyens doivent toujours consommer plus, c’est justement pour que leur propre travail puisse trouver des débouchés et continuer, et assurer ainsi les revenus nécessaires pour consommer encore davantage. Le travail consiste, pour la plupart, à participer à la chaîne de production, comme une contrainte, pour pouvoir se joindre aux consommateurs et consommer autant que possible.

Ainsi a-t-on perdu le sens même du travail, qui est devenu tributaire de la consommation.

Je trouve ces considérations dans l’ouvrage de Pierre-Yves Gomez, « l’intelligence du travail ».

En voulant défendre et réhabiliter cette intelligence du travail, il déplore que nous soyons devenus les citoyens d’une nation de « consommateurs auto-aliénés », où « le travailleur n’y est plus que le serviteur insignifiant d’une finalité qui lui échappe ». Pour conforter ce sentiment, il rappelle que, au lendemain du massacre du Bataclan, le mot d’ordre était que « le spectacle doit continuer », et qu’il fallait que les bars et restaurants se remplissent pour que « notre liberté consommatrice puisse continuer à s’exercer ». C’est cette forme de « liberté » que détestent les terroristes, qui sont « comme l’envers et l’enfer de notre décor ».

Pourtant, les choses sont peut-être en train de changer : nous sommes de plus en plus nombreux à aspirer à donner plus de « sens » à notre travail, et à retrouver ce que Pierre-Yves Gomez appelle « l’intelligence du travail ». C’est le retour du mythe du potager.

Le mythe du potager : qu’est-ce-que c’est ?

C’est un mythe populaire qui chante le travail en harmonie avec la nature. La Terre y est vue comme un potager à cultiver, où le travailleur exploite un terrain de petite dimension où il concentre ses efforts, et dont il partage les fruits avec ses proches. Ainsi, ce qu’il consomme, c’est ce qu’il produit. C’est ce genre de mythe qui fait rêver, selon Pierre-Yves Gomez, les cadres stressés qui ne savent plus pourquoi ni pour qui ils travaillent, et qui vivent leur travail comme désincarné.

Avec le potager, tout redevient physique : nous consommons les légumes que nous avons plantés, nous agissons sur l’environnement, nous le transformons par notre activité.

Ce mythe du potager est une parabole pour appeler à connaître l’utilité de son travail, immédiatement, et son impact sur la Terre.

Ce mythe du potager ne correspond pas à une « nostalgie agraire » ou à un « retour à la terre ». Elle invite plutôt ceux qui travaillent à prendre conscience de « l’intelligence de leurs actes ».

Et c’est ainsi que de nouveaux modèles émergent correspondant à ce que Pierre-Yves Gomez appelle « l’économie de proximité »., et qui permettent de confondre le travailleur et le consommateur.

C’est ainsi que se forment des communautés visant précisément à raccourcir les distances et à incarner la relation entre le travailleur et le consommateur. C’est le principe de ce que l’on appelle « l’économie collaborative » ou « économie du partage » : les FabLab, les plateformes de location entre particuliers, le covoiturage, la restauration à domicile, les cours et les conseils en ligne, Les initiatives naissent tous les jours. Elles sont toutes le signe d’une revalorisation des savoir-faire et des compétences hors des lieux marchands traditionnels. Elle permet aussi de nouvelles façons de produire : logiciels libres, rédaction collective d’encyclopédies, partage d’expériences de la vie courante (recettes de cuisine, diagnostic médical).

Corrélativement, cela engendre une crise du travail salarié, du fait d’une réaction de ceux qui travaillent selon ces nouveaux modes et qui ne veulent pas exister dans des entreprises qui leur prescrivent et standardisent leur travail. Les syndicats et tous ceux qui veulent se croire défenseurs des travailleurs dans des instances élues (représentants du personnel de tous ordres) sont débordés : il ne s’agit plus de conserver la sécurité de l’emploi rémunéré, mais, dans des communautés de l’économie de proximité, de retrouver le plaisir du travail utile et libre. C’est cette nouvelle liberté qui veut échapper à la condition de travailleur désincarné dans laquelle les syndicats voudraient continuer à l’enfermer.

Manifestation de cette évolution : le développement des plateformes collaboratives, qui mettent à disposition de ces travailleurs des données et des réseaux pour inventer de nouvelles relations.

Autre champ de bataille : la robotisation. Non pas celle qui fait croire à certains politiques qu’elle va détruire le travail, mais au contraire celle qui va nous permettre de transformer le travail, par exemple en permettant de réaliser avec précision de très petites séries, contrairement aux grosses machines industrielles de grandes séries de la génération précédente. Ce sont les imprimantes 3D qui nous permettent de produire localement des pièces détachées, des prothèses, mais aussi des maisons. Autant d’innovations qui vont faire de l’économie de proximité une « industrie de proximité » avec de petites unités de production, qui vont ringardiser les grosses usines.

La révolution ne s’arrête pas là : elle va aussi toucher le management. Les managers et cadres ressentent aux-aussi, de plus en plus, des « organisateurs du non-sens », empêtrés dans les reportings et les réunions. Ils subissent doublement la désincarnation du travail puisqu’ils sont à la fois obligés de la gérer, et la subissent dans leur propre vie. Ils ressemblent nous indique Pierre-Yves Gomez, « à ces fonctionnaires qui pilotaient l’URSS à l’aide de plans et de tableaux dont tout le monde savait qu’ils n’avaient aucune signification mais que l’on feignait d’utiliser comme un miroir de la réalité ». C’est pourquoi la révolution est en train de se faire par les managers eux-mêmes qui, portés par les encouragements des pionniers et des consultants nouvelle génération, veulent limiter les niveaux hiérarchiques, pousser l’autonomisation et la décentralisation, le management par petites unités interdépendantes, la diminution du nombre de gestionnaires pour donner plus de liberté aux travailleurs de terrain. C’est ainsi que cette « économie de proximité » pénètre même les plus grandes organisations, à l’intérieur même du système.

Retrouver le sens et l’intelligence du travail, revivre le mythe du potager : la révolution ne fait que commencer.

Tous jardiniers !

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