Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier
Cela ne vous aura pas échappé : le cours du pétrole est en chute libre ces derniers mois, en baisse de quelque 50%.
Une conjonction d’éléments ayant trait, pour ce qui est de la demande, à la conjoncture économique mondiale moins solide qu’escompté et, pour ce qui est de l’offre, à la situation géopolitique (Russie, Arabie Saoudite, notamment) et à l’évolution de la prospection du gaz de schiste, sont à l’origine de ce phénomène.
Dans la foulée, les actions des géants du secteur pétrolier (les Total, Exxon, BP, etc.) ont souffert.
Voilà une pierre dans le jardin de ceux qui considéraient, il y a peu encore, que les actions pétrolières étaient globalement bon marché. Car, généralement, des actions bon marché intègrent déjà dans leur cours, d’une façon ou d’une autre, des facteurs de pessimisme.
Ce n’était manifestement pas le cas. Aux alentours de 2011, la plupart des analystes tablaient davantage sur une vigoureuse sortie des économies touchées par la crise, avec comme conséquence un rebond de la demande énergétique et donc des bénéfices en forte hausse pour les compagnies pétrolières. D’ailleurs, aucun expert ne tablait alors, à un horizon prévisible, sur un baril de brut en-dessous de 100 USD.
Il est très rare d’avoir un secteur réellement bon marché lorsqu’il baigne dans une ambiance positive. Si certaines métriques (multiples de valorisation, notamment) le désignent alors comme bon marché, il est temps d’y réfléchir à deux fois. Un contexte similaire avait entouré le secteur financier avant la grande crise. Le contraste était encore plus marqué à l’époque entre une économie de plus en plus financiarisée, ce qui profitait aux banques, et des actions bancaires présentées par beaucoup comme bon marché.
Retenez ceci : si, à un moment donné, vous ne pouvez pas expliquer AVEC DES MOTS (et non plus des chiffres) les raisons pour lesquelles un secteur serait bon marché, il ne l’est certainement pas.
Ou bien, le marché anticipe à moyen terme un risque que vous n’apercevez pas. Ou bien, le secteur présente dès à présent une faiblesse dissimulée derrière des chiffres a priori flatteurs.
Dans le cas du secteur financier, une bonne part des performances bénéficiaires des banques dans les années précédant la crise reposait en fait sur … du vent. La finance pour la finance finit par perdre tous sens des réalités économiques. Et dans le cas du secteur pétrolier, sa relativement faible valorisation était due à une évolution inquiétante qui va se remarquer davantage aujourd’hui que la situation se complique : malgré des investissements de plus en plus lourds (700 milliards de dollars en 2013, contre seulement 250 milliards de dollars en 2005), l’industrie pétrolière n’a pu alors dénicher par son exploration, cette année-là, que l’équivalent de 4 mois et demi de production. Ce qui est bien trop insuffisant. Dans ces conditions, hormis solution toujours périlleuse d’un endettement additionnel, le cash se raréfie rapidement, ce qui hypothèque l’évolution des dividendes.
Bien entendu, à un certain moment, les actions pétrolières peuvent devenir réellement bon marché (dans une optique de valorisation à long terme et non pas sur un plan purement spéculatif). Mais avant de parvenir à cette conclusion, encore faut-il être bien conscient de cette donnée.
Un proverbe du poker dit que si après une heure à la table vous ne savez pas qui est le pigeon, c'est que c'est vous. Vous captez l’analogie ?