Par Patrick Rey (chroniqueur exclusif) - Consultant-Délégué ITG, premier groupe de conseil en portage salarial.
Depuis 7,5 ans que je tiens cette chronique, divers épisodes d'un feuilleton juridique sont venus compliquer le développement de ce statut hybride, à mi-chemin entre l'entrepreneur et le salarié. L'Ordonnance adoptée en Conseil des ministres le 2 avril 2015 donne enfin un cadre juridique au portage salarial et sécurise les conditions applicables aux entreprises de portage, aux salariés portés et à leurs clients. Une bonne nouvelle pour les créateurs en devenir, ainsi que pour les entreprises souhaitant faire appel à leur expertise.
Parmi mes différents billets passés, dont certains façon “coup de gueule”, je fustigeais le portage salarial “Canada Dry”, un système simple mais souvent flou et qui sème le doute. Pour séparer le bon grain de l’ivraie, … et éviter la gueule de bois, il y avait bien eu les premiers accords d'entreprise : chez ITG en 2004, puis d'autres acteurs importants en 2005, la création de l'Observatoire Paritaire du Portage Salarial en 2006, un accord de branche fin 2007 et la Loi de modernisation du marché du travail du 25 juin 2008, introduisant la notion de portage salarial dans le droit français.
Un nouvel accord signé en 2010 précisait le dispositif de portage, le limitant aux cadres, ce qui a été contesté par un syndicat non signataire. Malgré l'extension de l'accord de portage en 2013 et les circulaires Unedic successives précisant les conditions pour la prise en compte des droits au chômage acquis pendant la période de salariat porté, des interprétations diverses sont venues agiter les esprits. Parmi lesquelles, des conseillers création ou emploi mal informés ou mal intentionnés, déclarant tout de go à des porteurs de projets ou à des demandeurs d'emploi que “le portage c'est illégal” ou même parfois chez Pôle Emploi “on ne peut pas vous dire si ça vous ouvrira des droits”.
Par ailleurs, des arrêts de la Cour de Cassation avaient contesté les accords en statuant que “la société de portage, en sa qualité d’employeur, est tenue de fournir du travail à son salarié”, suite au licenciement d'un salarié demeuré sans activité pendant deux mois, alors qu'il s'était engagé à rechercher ses missions. Entre temps, les coopératives d’activité et d’emploi (CAE) étaient reconnues par la loi sur l’économie sociale et solidaire du 31 juillet 2014. L'Ordonnance du 2 avril 2015 vient donc mettre de l'ordre dans un dispositif trop longtemps malmené et qui était en avance sur son temps.
Après le régime d'auto-entrepreneur, adapté aux compléments de revenus et à des activités très variées, après la valorisation de l'entrepreneur coopérateur et salarié, il était inévitable que l'entrepreneur porté puisse tester et vivre son activité avec un dispositif de portage salarial respectueux des enjeux des trois parties prenantes : les portés, les porteurs et les entreprises bénéficiaires. Pour les portés, l'Ordonnance confirme l'emploi de contrats de travail classiques (CDD et CDI), adaptés au portage salarial et donc la reconnaissance des droits auprès de Pôle Emploi, mais aussi l'obligation de formation et d'accompagnement. Pour les entreprises de portage, elle confirme l'exclusivité de l’activité de portage salarial et l'autonomie des professionnels portés qui trouvent eux-mêmes leurs missions. Pour les entreprises clientes des portés, elle garantit l'assurance du porteur, l'indépendance du prestataire et l'absence de risque de requalification.