Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier
C’est décidé ! Sous la bienveillante pression de votre compagnon/compagne, vous prenez enfin quelques jours de congé pour goûter aux délices de cette période de Noël.
Les larges flocons de neige duveteux et virevoltants, les crépitements du feu de bois dans l’âtre de la cheminée, le sapin soigneusement décoré et magiquement illuminé, la douce chaleur d’une tasse de chocolat à la cannelle …
Et ce livre qui n’attend que vous, sur la petite table du salon, juste à côté de votre fauteuil préféré.
Ce livre ? Mais quel livre ? Que lire donc pour parachever cet idyllique tableau de fin d’année ?
Vous pourriez choisir un classique : on n’est jamais déçu de (re)découvrir un chef d’œuvre intemporel comme « Les grandes espérances » de Dickens (dont on fêtera par ailleurs le bicentenaire de la naissance en 2012) ou « Le vicomte de Bragelonne » de Dumas.
Vous ne pourriez assurément pas vous tromper en optant pour un livre de cette rare qualité. Oui mais voilà. Je vous connais. Une sourde mauvaise conscience vous saisit, à la pensée de tous ces journaux financiers que vous n’allez pas ouvrir plusieurs jours durant. Ce serait tout de même plus « sympa » de rester dans la partie, d’une manière ou d’une autre. Alors ? Un roman sur … l’argent ?
L’argent et la littérature feraient-ils donc si bon ménage ? Si le mécénat princier ou étatique a sans doute pu, à travers les âges, aider certains auteurs, il n’en demeure pas moins que la misère et la souffrance ont souvent fait éclore les vocations des plus grands écrivains. Et si la lutte qui se joue entre les pauvres et les riches est une toile de fond commune à de nombreux romans, l’argent en tant que tel n’est pas un sujet éminemment littéraire.
Pourtant, en cherchant bien, il est possible de dénicher quelques pépites.
A tout seigneur, tout honneur, commençons par le pape français du naturalisme, Emile Zola. Dans sa célèbre saga des Rougon-Macquart, Zola a consacré un ouvrage à l’argent et à la Bourse : « L’argent ». Au menu, on trouve déjà la spéculation et les promesses d’argent facile avec le « héros » Aristide Saccard et sa Banque Universelle, active dans des projets au Moyen Orient. Comment on l’imagine, la déchéance suivra le succès. Les rumeurs de toutes sortes (avec leur mécanisme implacable très bien rendu par l’auteur) font déjà des ravages et la grouillante Bourse de Paris de la fin du XIXe siècle est ici décrite avec un réalisme fascinant pour celui qui est habitué aux seuls écrans d’ordinateurs contemporains.
Quand deux jeunes loups de la finance qui se disputent les mines de San Lucido en Sicile, Lewis et Irène, tombent amoureux, peuvent-ils libérer leur esprit et laisser parler sincèrement leur cœur ? Dans ce cours roman récemment republié chez Grasset, « Lewis et Irène », Paul Morand envisage l’amitié comme remède à l’amour lorsque ce dernier ne peut se concevoir dans le milieu des affaires. Un petit bijou écrit par l’un des meilleurs stylistes de son époque.
Même si la Bourse n’est pas le sujet principal de son « Bûcher des Vanités » (« The Bonfire of Vanities »), Tom Wolfe (à sa manière, un héritier de Zola) dresse, dans cet étonnant roman des années 80, le tableau de Wall Street à travers le portrait de Sherman McCoy , un de ces « Maîtres de l’Univers » de la haute finance ; mais aussi le tableau de toute une société hypocrite de journalistes, d’avocats et de politiciens. Sur fond de gangrène de l’argent-roi, tous ces personnages se livrent une lutte sans merci qui fait ressortir les bassesses inhérentes à la nature humaine. Captivant !
Peu après la parution du roman de Tom Wolfe, deux brillants journalistes américains, Bryan Burrough et John Helyar publiaient ce qui reste sans doute aujourd’hui encore le meilleur « business book » jamais écrit : « Barbarians at the Gate » (« Les barbares sont à la porte ») qui relate le combat acharné qui s’est déroulé à la fin des années 80 pour la prise de contrôle du géant américain RJR Nabisco. Un travail d’enquête époustouflant, fruit de plusieurs centaines d’heures passées à interviewer les protagonistes de cette affaire et qui se lit comme le plus passionnant des thrillers … Impossible à lâcher !
Vous voulez du plus récent ? Et si possible du pas encore traduit en français, histoire d’épater vos collègues devant la machine à café ? Alors, j’ai ce qu’il vous faut : « The Fear Index » de l’auteur américain à succès Robert Harris. Dotées de puissants algorithmes répliquant le raisonnement humain en en décuplant le potentiel, les machines prennent le pouvoir sur les marchés financiers. L’homme qui a mis au point ce système, un ancien physicien et gérant d’un « hedge fund » basé à Genève, Alexander Hoffman, semble dépassé par son invention et se retrouve au centre d’un véritable complot. Mais est-ce bien réel ou alors seulement fantasmé ? Notre homme a-t-il bien toute sa raison ? Les Bourses mondiales sont-elles menacées de s’écrouler ? Personnellement, je ne placerais pas ce roman, tout à fait agréable à lire pourtant, au même rang de qualité que les précédents. Mais vous vouliez du récent, n’est-ce pas ?
Alors, n’hésitez plus : installez-vous dans votre fauteuil préféré au coin du feu ; tout en savourant votre chocolat chaud, profitez quelques instants du spectacle de cette belle neige immaculée qui tombe mollement sur votre jardin ; et, quel que soit votre choix de lecture, goûtez au plaisir des mots qui courent sur les pages ou sur l’écran de votre « liseuse » électronique, le cadeau de Noël 2011 présenté comme incontournable.