Leader authentique : changez d’histoire !

Gilles MartinPar Gilles Martin (chroniqueur exclusif) – Président du cabinet de conseil en stratégie et management PMP

C’est un mot à la mode, une aspiration que l’on entend souvent : « Il faut être soi-même », « être vrai ». Ceux qui vous parlent ainsi, dirigeants, managers, collaborateurs (génération Y ou non), se veulent authentiques, et surtout pas « faire semblant », masquer leur vraie nature pour réussir. Cela serait se trahir. Mais cette croyance, et cette posture, leur fait parfois faire des bêtises, ou rater des occasions.

Exemple ce dirigeant que je rencontrais cette semaine. Il me confie lui-même : «  Je suis plus à l’aise comme conseiller, organisateur pour les autres, dans l’ombre, que quand je dois décider moi-même ». En clair, être leader, ce n’est pas son truc ; il est « lui-même » quand il n’a pas à décider. Le hic, c’est qu’il vient de prendre un poste de chef, où il est à la tête d’une Direction importante dans un Grand Groupe.

Ses collaborateurs le trouvent distant, ne communiquant pas de « dynamique », assez froid dans sa communication, ne délivrant pas d’émotion. Lui va me dire que c’est son « style », c’est ce qui lui permet d’être efficace, de prendre le recul pour évaluer les situations. Le fait que cela gêne ses collaborateurs, lui, ça ne le gêne pas (quoique…). Les critiques négatives des autres sont pour lui un mal nécessaire et le prix à payer pour rester efficace, plutôt que de « faire semblant » en leur faisant croire qu’il va être leur copain, plein d’émotion sur-jouée, et pas « authentique ». Il ne veut pas être, tel un caméléon, celui-qui cherche à faire plaisir à tout le monde, mais veut rester lui-même.

Pourtant, cette forme d’ »authenticité » a ses limites : comment diriger et porter une vision de leader en étant ainsi empêtré dans un « soi-même » qui ne fait pas toujours l’affaire.

Ce paradoxe de l’authenticité, c’est le sujet d’un article de Herminia Ibarra, professeur à l’INSEAD, dans le numéro de février de Harvard Business Review. Pour l’auteur une conception trop rigide de cet « être soi-même » n’est pas l’expression d’un vrai leadership. Elle cite le cas d’une femme manager, Cynthia, qui était convaincue qu’il faut être transparent, encourager le leadership collaboratif, ce qui l’amenait à être très directe dans ses relations aux autres, et à demander à ses collaborateurs de l’aider, de la soutenir, car elle avait souvent des conflits à gérer avec les autres managers. Résultat, elle s’est vite épuisée, et ses collaborateurs, en dépit de son style direct et transparent, ont commencé à douter de sa capacité à faire le job de manager pour eux. Car être authentique ne signifie justement pas se dévoiler complètement de la même façon à tout le monde.

Ce que Herminia Ibarra appelle le leadership authentique est quelque chose de plus subtil.

Pour le leader, il ne suffit pas de s’autoévaluer sur des objectifs de pure performance opérationnelle, mais aussi des objectifs en termes d’apprentissage : passant d’un environnement à un autre, c’est l’occasion de laisser son « soi-même » qui a marché précédemment, pour explorer d’autres formes de leadership et de « soi-même » qui feront réussir dans un nouvel environnement. Il ne suffit pas d’identifier ce qu’il faut faire pour réussir dans le job de manager de l’organisation, mais d’être capable de se présenter et d’agir dans la meilleure disposition pour faire réussir l’organisation.

Se fixer de nouveaux objectifs pour apprendre de nouvelles attitudes de leader, de nouvelles façons d’interagir avec des personnes différentes, voilà ce qui va permettre de devenir meilleur et de grandir, au lieu de se reposer sur le confort apparent de ce qui a fait la réussite d’hier dans des contextes différents.

Il sera alors nécessaire de changer d’histoire. Herminia Ibarra cite le cas de Maria, femme manager qui s’était convaincue d’être « la mère poule de ses collaborateurs ». Elle fabriquait ses histoire autour de cette image où elle se sacrifiait pour protéger les siens, sa famille, ses collaborateurs. Mais alors que cela l’avait aidé à être perçue comme un bon joueur en équipe, et facteur de paix et de solidarité, cela la limitait dans un rôle de leader qui porte une ambition de rupture et de transformation. Elle a alors redécouvert qu’elle avait aussi été dans sa jeunesse cette jeune fille qui avait quitté sa famille pour faire un tour du monde pendant 18 mois, et cette nouvelle histoire lui a permis de prendre un autre rôle et une autre posture, bien plus adaptée à un rôle de leader dans un nouveau contexte plus exigeant.

Essayer de nouvelles histoires, c’est  cesser de croire que « être soi-même » consiste à se blottir dans le confort de ce que l’on croit être son style ou sa personnalité.

Être authentique et « vrai » c’est prendre le risque de se raconter de nouvelles histoires.

Il ne s’agit pas de faire le caméléon ni se déguiser en faisant semblant. C’est juste un état d’esprit, une façon de se connaître, accepter sa propre diversité, sa personnalité multiple, pour en jouer comme d’un instrument capable de faire autre chose que tout le temps la même note ou le même air.

Changer de chanson en gardant la même voix.

Peut-être le secret de l’authenticité.

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