Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier
Certains d’entre vous le savent peut-être déjà : en plus de fournir cette chronique boursière bi-mensuelle, je commets également une brève revue de presse quotidienne des deux quotidiens anglo-saxons de référence dans le monde de l’économie, de la finance et des affaires, à savoir le Financial Times et le Wall Street Journal Europe. Je viens d’ailleurs de dépasser la barre des 1400 revues de presse … Vous pouvez y accéder (gratuitement) ici, chaque jour ouvrable vers l’heure de midi : http://actufinance.typepad.com/
Pourtant, je suis le premier à crier gare au loup ! Méfiez-vous de l’emprise médiatique. Abuser des « news » peut nuire gravement à votre portefeuille. Au moins pour deux raisons. Primo, celui qui s’abreuve de news à longueur de journée peut finir par n’avoir plus de temps pour la réflexion ; pire même : se considérant comme supérieurement informé, il peut se croire dispensé de réfléchir … Secundo, par sa nature même, la nouvelle qui vient de s’afficher sur le site Internet de tel ou tel grand quotidien peut prendre, à votre insu, une place disproportionnée dans votre cerveau : puisque c’est la plus chaude actualité, elle s’invente une légitimité à occuper la première place. Or, le « bruit médiatique » est suffisamment assourdissant pour prendre la mesure du risque que fait courir cette primauté de l’actualité.
Celui qui utilise la presse quotidienne pour y trouver des idées d’investissement se doit donc d’être attentif à ces deux éléments : ne pas se faire confisquer sa capacité de réflexion et garder une certaine hauteur de vue par rapport à des événements dont la portée réelle est souvent grossie par leur immédiateté.
En un mot, il s’agit d’user de son esprit critique pour retirer l’information de qualité et l’utiliser à bon escient.
C’est moins facile que cela en a l’air …
En prenant comme point de départ la lecture quotidienne des deux journaux financiers et de quelques autres sources de qualité (Bloomberg, Reuters, etc), posons-nous la double question suivante : quels sont les thèmes d’investissement qui sont actuellement suggérés, plus ou moins explicitement, à l’investisseur ? que doit-on en penser ?
Autant le FT que le WSJE contiennent des articles factuels (actualité brute), des articles d’analyse (actualité avec un prisme plus large permettant une contextualisation) et des articles d’expertise.
Pour ce qui est des idées d’investissement qui seraient véhiculées plus ou moins consciemment par la presse anglo-saxonne, ce sont bien évidemment les articles d’analyse et plus encore les articles d’expertise qui sont ici concernés. A dessein, je laisse de côté les deux évidences du moment : les matières premières (et tout ce qui y touche) et les pays émergents.Ces deux catégories d’actifs semblent aujourd’hui assez clairement sur-achetées. Après avoir laissé se décanter le sujet dans mon esprit pendant quelques minutes me sont apparus, de façon quasi-impressionniste, deux sujets qui se sont insinués ces derniers mois et semaines dans les colonnes des journaux : d’une part, les grandes actions de qualité (« blue chips ») des pays occidentaux et d’autre part, la Bourse japonaise.
Examinons-les brièvement.
La thèse des grandes actions occidentales de qualité s’inscrit directement dans la lignée de la crise financière et économique dont nous sortons à peine. Pour les tenants de cette thèse, la méfiance persistante des investisseurs pour la Bourse constitue une bonne occasion de se positionner sur les actions de qualité qui ont fait leur preuve à long terme. Qui, en effet, peut raisonnablement douter que Coca-Cola ou encore LVMH ne seront pas là, au premier rang de leur secteur respectif dans 10, 20, voire 30 ans ? De plus, les actions de petite capitalisation (donc,celles des petites entreprises), se seraient redressées après la crise nettement plus rapidement car étant plus réactives à l’embellie conjoncturelle. Qui plus est, les grandes entreprises de qualité sont celles qui disposent de moyens financiers pléthoriques (leur permettant de faire face aux secousses économiques) et, surtout, dans le monde inflationniste qui s’annonce, de la meilleure capacité à remonter leur prix de vente de façon à préserver leur rentabilité. Tout cela est bel et bon mais à quel prix ces actions se négocient-elles ? Pas si cher, d’après certains analystes : malgré des bénéfices qui renouent avec les records, la Bourse américaine se traite aux alentours de 13 fois les bénéfices attendus dans les 12 prochains mois, soit avec une décote par rapport à la moyenne des 10 dernières années (15,5 fois).
Qu’en penser ? Pas que du bien ! Par rapport à mars 2009, au plus fort du pessimisme boursier de crise, la Bourse américaine a presque doublé. D’autres, comme le CAC 40, ont gagné quelque 60 ou 70%, voire plus. C’est beaucoup. Certes, les petites capitalisations ont souvent rebondi plus fortement encore mais elles avaient également été pénalisées plus durement. Il n’est guère évident que les grandes actions de qualité soient sous-évaluées aujourd’hui : dans une économie mondiale encore fragile, les actuelles prévisions bénéficiaires sont peut-être exagérées, ce qui flatte la valorisation basée sur ce critère. D’autres critères (comme le Q ratio apparenté au Prix/Valeur Comptable des fonds propres) appellent à plus de prudence. Par ailleurs, la portée d’un ratio inférieur à la moyenne sur 10 ans doit être relativisée par la médiocre performance boursière depuis 10 ans. Il manque assurément des signaux clairs aujourd’hui pour encourager les investisseurs sur la voie des « blue chips » occidentales. En décembre 2008, l’agence Bloomberg publiait une analyse selon laquelle, en agrégé, les montants de liquidités détenues par les entreprises américaines dépassaient la valeur boursière de ces entreprises. Voilà ce qu’on peut appeler un argument fort en faveur d’une sous-évaluation de la Bourse à cette époque. Nous ne sommes plus aujourd’hui dans ce cas de figure.
Abordons la deuxième thèse : la Bourse japonaise. Voilà une proposition a priori bien iconoclaste que cette Bourse japonaise dont on se souvient encore aujourd’hui qu’elle avait été entraînée à la hausse dans le sillage d’une bulle immobilière à la fin des années 80 avant de s’effondrer lamentablement et de se traîner à de faibles niveaux pendant deux décennies sur fond de langueur économique et de crises politiques à répétition. Le Nikkei 225 n’est encore qu’à une fraction ce qu’il était en 1989. Cette Bourse que tout le monde aime détester est pourtant en train de retrouver quelques faveurs parmi la communauté financière. Malgré des finances publiques toujours en piètre état et un vieillissement accéléré de sa population, le Japon séduit aujourd’hui d’abord par le faible niveau de valorisation de sa Bourse. Dans un contexte général de reprise boursière mondiale depuis 2 ans, c’est un facteur à ne pas négliger ! Les capitaux sont en train de quitter progressivement les pays émergents asiatiques (y compris la Chine) pour venir s’investir au Pays du Soleil Levant. Mais il y a plus : les entreprises semblent progressivement attacher davantage d’importance à la notion de création de valeur pour les actionnaires : les augmentations de capital dilutives sont plus rares que par le passé et, au cours de la dernière décennie, les bénéfices par action se sont accru de 200%. Quant à l’actuelle surévaluation du yen, au fur et à mesure qu’elle se corrigera, elle sera compensée, pour les investisseurs étrangers, par de meilleures performances des entreprises actives à l’exportation. Donc, l’investisseur pourrait trouver son bonheur en recherchant des entreprises japonaises leaders de leur secteur au niveau régional ou mondial et qui montrent une bonne volonté à prendre davantage soin des intérêts des actionnaires.
Qu’en penser ? Etant donné mon penchant naturel pour les entreprises peu valorisées, l’histoire japonaise me séduit davantage. Certes, ce ne serait pas la première fois que la communauté financière tente de redonner du tonus à cette thèse qui s’est avérée systématiquement décevante par le passé. Il n’empêche : le contexte économique et boursier mondial actuel et les efforts engagés par les entreprises nippones plaident pour un intérêt plus marqué que par le passé pour le Japon. Et si ce raisonnement s’avérait une erreur, le dommage ne devrait pas être trop grand.
En résumé :
1. Blue chips occidentales : ne pas s’engager à l’aveugle
2. Actions japonaises : s’y intéresser de plus près.
Voilà pour ce petit exercice de lecture critique de la presse : prenez le temps de dégager le bon grain de l’ivraie dans ce que vous lisez (c’est une course de fond, pas un sprint) ; complétez votre analyse par d’autres lectures contextualisant le sujet et n’agissez que lorsque vous êtes suffisamment à l’aise avec le choix opéré.