Par Stéphane Dangel (contributeur exclusif) – Spécialiste du storytelling
Ce n'est pas une lubie théorique de plus, pour managers en
quête d'improbable martingale. Et même si on voit fleurir de ci de là dans les
manuels du parfait entrepreneur des références au bouddhisme présentées comme
utiles pour les managers, ce n'est de cela non plus dont il s'agit.
Non, le coeur de ce billet, est directement orienté business
: quelle est l'histoire stratégique que les entrepreneurs ont avantage à se
raconter ? Oui, se raconter : car n'importe quel business plan, tout élaboré
qu'il soit, n'est jamais rien d'autre qu'une histoire que l'on se raconte,
fictive qui plus est (et qu'on espère voir se réaliser dans le futur -le
banquier aussi l'espère, d'ailleurs…).
La réponse : une histoire inspirée d'une personne qui, à
priori, ne pourrait pas être plus éloignée du monde des entrepreneurs…
Gandhi. Et le message est celui-ci : quand vous n'êtes pas en compétition, vous
n'avez pas de concurrents.
La vraie success-story n'est pas l'histoire la plus belle
On a souvent tendance à imaginer l'histoire idéale de
l'entrepreneur comme une success-story dans le moindre de ses aspects. Une
histoire lisse, sans aspérités, et surtout irréaliste. Face à des
interlocuteurs -financiers, clients et donc entrepreneurs eux-aussi…-
forcément au fait de ce qu'est réellement un parcours de créateur et de
développeur d'entreprise, c'est même une quasi garantie de rater son coup,
voire pire, se décrédibiliser. Ou au mieux : de lancer un
« concours » aussi informel qu'inutile avec eux, de « celui qui
racontera la plus belle histoire marseillaise » (sans que ce soit
péjoratif, car elles ont leurs qualités dans d'autres contextes).
En réalité, une bonne histoire, c'est à dire une histoire à
laquelle ses auditeurs adhèreront, qu'ils s'approprieront pour la diffuser,
devra comporter des accrocs pour que le processus vertueux de sa narration, son
impact s'enclenche.
Refuser la compétition a des vertus cachées
Y exprimer le refus de la compétition, aussi négatif que
cela puisse paraître, peut être cet accroc. Pour Gandhi, le refus de la
compétition, de l'adversité, s'est manifesté par ses appels à « embrasser
les oppresseurs ». Ce n'est évidemment pas à prendre littéralement : on ne
parle pas d'appel à la fusion-absorption avec des concurrents, à la soumission.
C'est bien plus de confrontation non directe dont il est
question, et de lutte, non pas contre « l'oppresseur » mais contre
« l'oppression elle-même ». Pour Gandhi, la non-violence n'était pas
un renoncement au combat, une soumission mais une forme de lutte à la fois plus
énergique et plus authentique que, en ce qui concernait le contexte auquel il
avait à faire face, la basique loi du talion.
Quel sens cela peut-il avoir pour les entrepreneurs ?
Quand vous refusez d'entrer en compétition, vous de générez
pas de concurrence. Mais vous pouvez quand même être un entrepreneur
conquérant, sans avoir non plus à vous cantonner dans un rôle de sous-traitant
ou de suivisme d'un leader sectoriel : et donc afficher, au bout du compte, une
success story. Mieux encore, elle aura un ressort narratif bien plus original
et percutant que la classique (et banale ?) opposition entre un protagoniste
(vous) et un adversaire terrassé à la fin. L'absence de compétition ne signifie
absence de suspense, mais un contexte d'opposition plus inattendu, qui touchera
plus fortement vos interlocuteurs.
Comment ?
Un exemple, une histoire.
Malgré son nom, Big Think n'est pas (encore) un
« major » de son secteur : le monde des médias et de ce que l'on appelle
l'entertainment. Mais après 4 ans d'existence, l'entreprise peut déjà afficher
des succès très prometteurs. Et pas uniquement en terme de clients, mais aussi
de business model et de prospective stratégique.
A l'origine de sa création : deux entrepreneurs, dont
l'histoire, relativement banale débute par une rencontre alors qu'ils
travaillent en tant que producteurs pour le même show TV.
Et une intuition : celle que la demande de contenu vidéo sur
le web allait devenir bien plus qu'une tendance.
Une stratégie assez logique (à l'époque du lancement) aurait
consisté à créer une plate-forme web, rassembler du contenu sur la plate-forme,
puis grandir, grandir, avec force d'investissements, et vendre de la publicité
pour rentabiliser le tout.
Problème : les fondateurs n'avaient absolument pas les fonds
nécessaires pour financer un tel lancement.
Ils ont donc décidé de la jouer différemment : offrir en
syndication leurs contenus à des partenaires médias. Ils se sont donc
rapprochés des journaux traditionnels, attaqués de toutes parts par des
concurrents online, et qui n'avaient pas trop d'idées de contenus offrant une
véritable valeur ajoutée et monétisables, pour leur proposer des vidéos de
leaders mondiaux dans leurs domaines respectifs, capables d'éclairer valablement
un papier.
En théorie, pourtant, ce nouvel opérateur online et les
journaux traditionnels auraient dû se combattre de front. Au contraire, Big
Think est devenu, non pas tellement un allié, mais « une épée dissimulée
derrière un sourire », car, il y a tout de même une dimension
d'opposition, de rapports de forces là-dedans, plus subtile que la
confrontation directe.
La fameuse « oppression » à combattre plutôt que
l'oppresseur, selon Gandhi, est ici le mythe de la supériorité des grands
groupes médias traditionnels y compris sur le web, et l'absence de modèle
économique valable pour les news sur le web.